Les enjeux du gouvernement en ligne, présenté par Daniel Lamoureux, coordonnateur du Comité aviseur de l’action communautaire autonome.

Contrairement à ce que plusieurs croient, notre société québécoise n’en est pas à un point tournant de son évolution : elle s’est déjà engagée, résolument, dans la voie de la société du savoir. En témoigne notamment la croissance fulgurante de l’utilisation des nouvelles technologies, non seulement par les entreprises mais aussi par le public en général. Des technologies axées sur la demande plutôt que sur l’offre, d’où émerge une culture globalisante, ouverte sur le monde, accessible au plus grand nombre.

Au plus grand nombre, oui, mais pas à tous. Le taux de pénétration sociale d’Internet, bien qu’impressionnant, montre qu’une large tranche de la population en est encore privée. Ces individus, généralement peu instruits, parfois âgés, souvent pauvres, vivent un décalage, une rupture en regard d’une société en mutation.

Les 4000 organismes d’action communautaire autonome, à leur niveau, partagent cette rupture, tant à l’interne qu’à l’externe. Une rupture qui élargit le fossé entre groupes branchés et non-branchés, entre groupes isolés ou réseautés, une rupture qui fragmente le mouvement, qui l’affaiblit.

Le gouvernement en direct

L’idée d’un gouvernement en direct n’est pas neuve. Je dis « gouvernement en direct » pour ne pas dire « gouvernement en ligne », traduction intégrale de  » government on line « , anglicisme atroce et de mauvais aloi, pire encore que cette « réingénierie » (que d’aucun qualifient de « réingéniaiserie ») que l’on prétend être de la « modernisation ». Et je dénonce au passage cette propension des gourous de la technologie, cette inclination à la paresse et cette négation de la créativité qui les portent à copier plutôt qu’à inventer des mots tripatifs, à traduire plutôt qu’à créer, à s’en tenir aux junkmails plutôt que de les qualifier de pourriels.

Non, l’idée d’un gouvernement en direct, facteur incontournable de la modernité, n’est pas neuve. Encore qu’il faille s’entendre sur ce qu’est un gouvernement en direct. Au Québec à cet égard, on semble vouloir laisser libre cours aux initiatives des ministères plutôt que de se donner une stratégie, un plan d’action, un cadre de référence, un point de convergence. Ce qui a pour résultat jusqu’ici un fouillis hétéroclite d’informations en vrac, sans vision, sans esprit. D’où un retard considérable sur plusieurs provinces, et surtout sur le gouvernement fédéral.

Le Conseil du Trésor du Canada, responsable depuis octobre 1999 de la mise en oeuvre du GED (gouvernement en direct), a investi jusqu’ici au-delà de 900 millions de dollars dans l’offre des services à la population, sans compter les sommes injectées par les ministères. Si bien qu’en 2001-2002, plus de 400 000 personnes ont présenté en direct une demande d’assurance-emploi (ce qui démontre, s’il en est besoin, combien le taux de chômage est élevé…) et qu’environ 9 millions de déclarations de revenus ont été transmises par voie électronique. En matière de mutation vers le cybergouvernement, celui du Canada peut être fier du travail accompli avec, selon un sondage, 50% des citoyens prévoyant communiquer avec lui par voie électronique, sur les 71% des Canadiens ayant accès à Internet. En 2003 par ailleurs, le nombre des visites sur les sites web gouvernementaux s’établissait à 16 millions, ce qui représente une augmentation de 21% comparativement à 2002, tandis que le nombre de visites des passerelles d’entreprises s’établissait à plus de 800 000, soit une hausse de 7%.

Cette stratégie fédérale n’a pas été concoctée dans un bureau de député ou dans un coin du ‘bunker’. Très tôt le gouvernement a mis sur pied un Groupe conseil du GED composé de représentants du secteur privé, du milieu universitaire et du secteur bénévole. De nombreuses études ont été réalisées, des comités interministériels ont été créés, tandis qu’un groupe de 4500 internautes recueillait et colligeait les préférences et les attentes des utilisateurs quant aux services en direct.

La stratégie opérationnelle ainsi élaborée en fonction des trois domaines de compétences gouvernementaux à cet égard (gestion de l’information, technologie de l’information, prestation de services) comportait trois axes : le renforcement des capacités, l’engagement et la sensibilisation, et les méthodes de travail communes.

Or, non seulement le Groupe conseil du GED comprend-il, parmi ses 22 membres, 3 dirigeants de groupes communautaires, mais l’approche globale du gouvernement fédéral mise sur la collaboration des organismes sans but lucratif, soit à titre de clients du gouvernement, de consultants, ou de formateurs.

L’avènement du cybergouvernement fédéral et la transformation de ses services représentent l’une de ses réponses au questionnement croissant de sa pertinence, porteur de déficit démocratique. Nulle part n’est-il question toutefois, dans la planification fédérale, de consultation permanente ou de vote électronique, notion que je considère si prématurée au Québec qu’elle évoque l’image des running fluo du ti-cul qui veut impressionner les grands. Le gouvernement Charest a un long chemin à parcourir, en matière d’amélioration de ses services en fonction des attentes de la population, avant de justifier pareille ‘bébelle’ et de se le faire rappeler, précisément, par vote ‘direct’ dans un prochain scrutin. Car non seulement la mise en oeuvre et la gestion de cette soi-disant cyberdémocratie exigeraient-elles l’apport de ressources humaines et financières substantielles qu’on pourrait plutôt consacrer à répondre à d’autres besoins, réels et fondamentaux, mais leur usage abusif par un gouvernement en quête de faux consensus risquerait de pervertir la notion même de démocratie et son application québécoise, à l’instar de ces forums pipés organisés en 2004 par le gouvernement libéral.

Le mouvement de l’ACA et le gouvernement en direct

Un gouvernement responsable doit mettre à la disposition de sa population les outils indispensables à l’épanouissement personnel et à l’agir collectif. Dans cette mesure un ‘gouvernement en direct’ performant peut constituer un excellent instrument de développement.

Parce qu’il compte dans ses rangs 4000 groupes communautaires, 25 000 travailleuses et travailleurs communautaires, et qu’il rejoint 1.3 millions de personnes ;

Parce qu’enraciné dans les communautés, le mouvement de l’ACA représente un modèle d’intervention de proximité, souple et puissant à la fois ;

Parce qu’il agit quotidiennement dans toutes les régions du Québec, dans 18 secteurs d’intervention, auprès des clientèles les plus diverses ;

Parce qu’il représente une force économique considérable, ce que les profils régionaux en cours de production par le gouvernement viendront démontrer et qu’on peut déjà illustrer en signalant que dans la région du Centre du Québec, les groupes communautaires constituent en importance le troisième employeur ;

Parce que ses rapports avec le gouvernement du Québec drainent une part exagérée des énergies de son personnel et de ses bénévoles ;

Parce qu’un réseautage plus serré le rendra plus efficace encore :

Pour toutes ces raisons le mouvement de l’ACA, impérativement, doit participer à cette mouvance, à cette initiative trop longtemps attendue, non seulement pour véhiculer les attentes des communautés et incarner la masse des sans-voix en matière d’aspirations, mais également pour influer par son expertise sur les orientations et approches gouvernementales.

Si le mouvement de l’ACA encourage l’avènement d’un gouvernement en direct, s’il le favorise et participe à sa conceptualisation et à sa mise en oeuvre, il incombe au gouvernement de prendre les mesures propres à réduire cette rupture numérique qui se profile à l’horizon avec plus d’acuité encore. Il lui faut, sans tarder, doter les groupes communautaires des moyens technologiques et éducatifs aptes à combler le fossé qui les sépare déjà de la partie la plus dynamique de la société civile.

Il ne s’agit pas là de générosité, mais d’investissement et partant, de vraie modernisation.

Dans cette perspective j’appuie d’emblée la Plateforme québécoise de l’internet citoyen, et offre mon soutien à son actualisation.