Présenté par Monique Chartrand, directrice générale de Communautique, 14 octobre 2005

Communautique, en tant qu’organisme communautaire dont la mission est de mettre les technologies de l’information et des communications au service des populations défavorisées et des milieux communautaires a eu l’occasion de sensibiliser M. Gautrin afin de lui faire connaître les enjeux pour ces populations et l’importance de rallier les groupes communautaires et de l’économie sociale autour du projet de gouvernement en ligne.

Suite au dépôt du rapport en juin dernier, Communautique a mis sur pied un comité d’analyse du rapport qui a déjà réalisé des travaux préliminaires et qui souhaite par la journée d’aujourd’hui approfondir collectivement la réflexion et inviter d’autres personnes à poursuivre les travaux de ce comité.

Le rapport a, pour nous, donné le ton possible aux développements entourant la venue d’une administration en ligne, du gouvernement en ligne et de la démocratie en ligne. En effet, il ressort, en première analyse, que ce projet est centré sur le citoyen et reconnaît l’importance de l’accompagnement offert par les groupes communautaires dans l’outillage des adultes aux nouveaux usages citoyens qu’impliquent les technologies.

Pour tracer un portrait de certains enjeux je vous ramènerais en mai 97, alors que la Commission de la Culture déposait à l’Assemblée nationale du Québec un rapport adopté à l’unanimité intitulé  » Inforoute, culture et démocratie: Enjeux pour le Québec « . On retrouve alors 47 recommandations que la Commission souhaite voir analysées ou retenues dans le cadre de la politique québécoise qui suivra.

Ce rapport fait suite à une consultation publique tenue en octobre 96 à laquelle de nombreux intervenants ont participé notamment la CEQ, la CSN, Michel Cartier, Jean-Claude Guédon, l’ICEA et bien d’autres acteurs.

La Commission s’est d’abord préoccupée de l’équité d’accès aux inforoutes. Elle a demandé au gouvernement de favoriser :

  • un accès à coût abordable dans l’ensemble des régions
  • la création de points d’accès publics
  • et souhaite qu’on «accorde une attention spéciale aux besoins des personnes pour qui l’accès aux nouvelles technologies peut être difficile, les personnes à faible revenu, analphabètes ou atteintes de handicaps sensoriels ou autres.».

La Commission fait écho à certaines préoccupations soulevées notamment par l’ICÉA, et reconnaît l’importance de veiller à ce que les inforoutes enrichissent la vie démocratique et sociale.

Elle reconnaît le rôle éducatif et social important que les groupes populaires et communautaires peuvent jouer dans l’appropriation sociale des nouvelles technologies, ce qui constitue un progrès important dans ce secteur où, jusqu’à présent, on avait tenu un discours davantage centré sur les enjeux économiques.

Ont suivi au cours des dernières années différents programmes visant à soutenir l’introduction des nouvelles technologies et l’accroissement de l’accès.

Au Québec, le Fonds de l’autoroute de l’information et de nombreux ministères ont soutenu bon nombre de projets. On pense également au programme Brancher les familles. Au plan canadien, la stratégie, Un Canada branché, a réalisé un ensemble de programmes : le programme VolNet, qui a fourni équipement, branchement et formation à plus de 11 000 organismes sans buts lucratifs à travers le Canada, le Programme d’accès communautaire, qui a soutenu la création de plusieurs centaines de centres d’accès communautaire à Internet en milieu urbain et rural au Québec, et plus récemment, dans le cadre de l’Initiative sur le secteur bénévole et communautaire, le Programme de gestion de l’information et des technologies de l’information d’Industrie Canada qui veut faciliter le renforcement du secteur bénévole et communautaire au moyen de la technologie.

Également, les récentes politiques gouvernementales comme la Politique de formation continue ou la Stratégie de lutte à la pauvreté et à l’exclusion inscrivent les compétences technologiques comme faisant partie des compétences de base à acquérir.

Divers ministères participent, à des hauteurs et à des degrés très divers, à l’informatisation des groupes communautaires ou à l’intégration des technologies aux pratiques d’action communautaire. En ce sens, le Fonds de lutte contre la pauvreté par la réinsertion au travail a joué, au cours des dernières années, un rôle majeur en soutenant des projets tant aux niveaux local et régional que provincial.

Toutefois, malgré les efforts on continue de constater la faiblesse des investissements consentis à la formation et à l’initiation de la population comparativement aux sommes allouées à l’infrastructure physique. Tant à Québec qu’à Ottawa, les programmes tels « Brancher les familles » ou le « Programme d’accès communautaire » ont d’abord misé sur l’infrastructure physique, équipements et branchement, avant l’éducation et la formation.

Communautique a participé, dans le cadre de ces initiatives gouvernementales, au branchement et à la formation dans les groupes communautaires et a développé, avec de nombreux partenaires et le soutien du Fonds de lutte contre la pauvreté, un réseau de points d’accès dans plus d’une centaine d’organismes communautaires dans 9 régions du Québec afin d’y actualiser des activités d’appropriation des technologies auprès des populations en marge de ces développements et de favoriser l’animation du milieu autour de l’usage citoyen des technologies. Ainsi, entre autres, plus de 50 000 personnes ont pu être initiées au cours des trois dernières années.

A l’hiver 2002, suite à des consultations auprès du milieu, naîtra également un outils qui propose des pistes de solution pour combler le fossé numérique, des avenues pour une appropriation sociale et démocratique des technologies, des conditions à mettre en oeuvre pour le développement d’un Internet renforçant l’exercice de la citoyenneté par l’inclusion de tous les citoyens et de toutes les citoyennes. Un outil qui doit aussi servir de levier à la reconnaissance et au soutien des acteurs communautaires et de l’économie sociale : il s’agit de la Plateforme québécoise de l’Internet citoyen.

Les fondements de la Plateforme, également repris dans le Mémoire que Communautique présentait en novembre 2002, à la Commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale sur le projet de loi 112, la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale, prennent leur ancrage dans la notion de fracture numérique.

La fracture numérique au Québec se vit chez les populations les moins branchées à la maison ou celles qui utilisent le moins Internet qui demeurent année après année celles à faibles revenus, les moins scolarisées, les plus âgées et les personnes handicapées. Des écarts importants subsistent toujours entre hommes et femmes ainsi qu’entre les populations vivant en milieu rural et urbain.

Au moment où le gouvernement du Québec envisage faire des technologies et d’Internet l’un de ses principaux outils pour communiquer avec ses citoyens et ses citoyennes, les informer ou leur offrir des services, les enjeux liés à l’accès aux technologies pour de larges pans de la population et particulièrement pour les personnes plus démunies se posent avec acuité. L’accès aux technologies devient ainsi un élément supplémentaire de la lutte à la pauvreté et à l’exclusion. La fracture numérique s’ajoute aux autres fractures sociales.

Dans ce contexte, la Plateforme québécoise de l’Internet citoyen affirme que l’appropriation sociale des technologies doit être vue sous l’angle du droit à l’accès aux technologies. Ce droit doit être placé dans la foulée des droits humains tels le droit à la communication, le droit à l’éducation ou le droit pour tous et toutes de bénéficier des retombées du progrès technologique.

L’accès aux infrastructures et surtout à la formation doit valoriser et favoriser l’exercice de la citoyenneté et la participation collective, pour faire un plein usage du potentiel d’interactivité offert par les technologies dans les champs du social, de l’économique, du culturel et de la vie démocratique.

Ces champs d’intervention sont sur le terrain des milieux communautaires. Ainsi, le Québec compte plusieurs milliers d’organismes communautaires et d’économie sociale implantés dans l’ensemble des régions. Acteurs dynamiques et reconnus du développement économique et social, ils travaillent avec les personnes démunies, ils s’adaptent à leurs besoins et connaissent bien la réalité des populations qu’ils desservent. Les organismes communautaires et d’économie sociale se trouvent ainsi en première ligne pour mesurer la globalité des impacts et saisir les enjeux relatifs aux technologies pour les personnes avec lesquelles ils travaillent.

Lieux d’éducation populaire, lieux d’inclusion, lieux de prise de parole, lieux de participation et de prise en charge, lieux où s’exerce la citoyenneté, lieux où se vivent la solidarité et le partage, les organismes communautaires et d’économie sociale ont un rôle central à jouer quant à la démocratisation des sociétés de l’information.

Les organismes qui rejoignent les populations les plus susceptibles de se voir exclues, sont interpellés pour leur offrir un accès à ces nouveaux outils. L’appropriation des technologies est abordée par les groupes sociaux, non comme une fin en soi, mais comme un outil de plus à intégrer à leur action visant à briser l’isolement et à accroître la participation citoyenne. Il leur importe de se doter de ces nouveaux outils pour la réalisation de projets collectifs, pour les activités d’éducation populaire, pour soutenir et contribuer au développement social, local et à l’action communautaire.

En 2004, une nouvelle enquête de Communautique sur les besoins en formation et soutien technique des organismes communautaires et bénévoles au Québec nous a permis de constater à quel point l’usage de l’Internet a progressé et s’est généralisé, effectuant un véritable bond en avant.

Une nouvelle tournée de consultations dans 5 régions du Québec en 2004 également, soulève que les problèmes d’accès de base demeurent et que le fossé numérique s’accentue pour une portion importante de la population. De fait, dans la mesure où l’usage des technologies est de plus en plus répandu, ne pas y avoir accès constitue un handicap encore plus grand qu’auparavant, même si on se reporte seulement quatre ans en arrière.

La demande la plus récurrente est que soient reconnues les dépenses et les ressources humaines impliquées par l’usage des technologies et que les programmes de subvention tiennent compte de ces besoins.

Les groupes nomment le besoin d’un lieu sur Internet où pouvoir retrouver les diverses ressources pertinentes au milieu communautaire.

Les participants aux consultations ont également été unanimes pour souligner l’importance des points d’accès à l’Internet qui soient faciles d’accès, gratuits et où le soutien d’un animateur est disponible. C’est à ces conditions seulement que les personnes consultées disent qu’il est possible d’imaginer une société de l’information vraiment égalitaire. On note l’importance du contact humain individuel entre le formateur et l’apprenant, ou sinon avec des petits groupes, pour que l’expérience soit un succès auprès des populations ayant trop souvent vécu des expériences d’échec dans des situations d’apprentissage.

En regard plus spécifiquement du projet de gouvernement en ligne, les personnes consultées se sont déclarées inquiètes pour une grande partie de la population qui ne pourrait, sans ces points d’accès, vraiment bénéficier des services gouvernementaux en ligne. La déclaration du gouvernement que des services téléphoniques subsisteront n’apaise pas ces inquiétudes : il est extrêmement difficile de joindre les services publics par téléphone, et ces services téléphoniques ont déjà grand besoin d’être améliorés. Plusieurs soulèvent le fait que tout ne doit pas être transposé en ligne, et qu’il faut préserver un éventail de manières d’interagir avec le gouvernement, certaines interactions ne pouvant tout simplement pas se faire en ligne.

Les personnes consultées ont souligné l’importance des rapports en personne pour le processus démocratique, et l’une d’elle déplorait que si tout se passait en ligne « ça serait un moyen shake pour la démocratie ». Une autre participante faisait remarquer que « c’est nous qui allons payer pour ces services, mais si la population n’y a pas accès, c’est peine perdue. Le gouvernement doit donc soutenir les modalités d’accès à ses services en ligne. »

Un autre participant, quant à lui, faisait remarquer que Loto Québec a tout à fait été capable d’installer des terminaux dans tous les dépanneurs, pharmacies, supermarchés, etc., et que donc, le gouvernement devrait, s’il veut que ses services en ligne soient vraiment universels et accessibles, installer des points d’accès partout où il y a des terminaux de loterie !

L’utilisation plus importante des technologies à des fins citoyennes ou de démocratie en ligne ou de gouvernement en ligne est en cours de création. Le développement d’initiatives comme le gouvernement en ligne, nous permet d’envisager de nouveaux usages dont les compétences pour les développer nous sont encore méconnues.

Les groupes communautaires semblent en être à un point de consolidation de leur usage interne, et prêts à passer à un usage plus associatif. Il nous semble donc que pour accéder à une dimension citoyenne d’usage des technologies plus importante, les efforts doivent permettre de mettre à la disposition des groupes tant les ressources techniques que des ressources de formation, d’accompagnement et d’animation où chacun sera à la fois créateur et apprenant.

Les organismes communautaires sont des acteurs majeurs des mouvements de nos sociétés, il sont au coeur de réalités sociales qui préoccupent l’ensemble de la population. A ce titre, ils se doivent d’être associés de prêt au processus de mise en place du gouvernement en ligne et de la démocratie en ligne.

Nous voudrions que les milieux communautaires soient écoutés. Que leurs contributions à l’accès et à l’usage des technologies soient reconnues. Que leurs représentantes et représentants soient appelés à siéger dans les principaux organismes qui seront responsable de la mise en place du gouvernement en ligne. Et enfin que le processus de mise en place du gouvernement en ligne soit traité comme un processus de renouvellement de la démocratie.

Il nous faut reconnaître le dynamisme des organismes de la société civile à promouvoir le débat et les initiatives citoyennes. Les organismes communautaires doivent être reconnus comme des acteurs important à consulter, certes, mais également des acteurs qui prennent part aux décisions.

Les membres du comité d’analyse du rapport de M. Gautrin souhaitent ainsi que le pouvoir des citoyens soit renforcé, que le rôle des organismes communautaires soit valorisé et que la démocratie soit renouvelée dans cette nouvelle phase de développement technologique. Nous avons tout intérêt à faire en sorte que le projet de gouvernement en ligne ne soit pas un moyen d’exclusion sociale ni d’imposition d’infrastructures technologiques qui ne soient pas celles qui ont été choisies par les populations suite à des réflexions et des débats démocratiques.