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Rapport déposé le 31 mars 2012 par Alexandre Enkerli

Inclusion numérique d’adultes vivant avec une déficience intellectuelle

La fracture numérique est un phénomène majeur, affectant de façon particulièrement profonde des personnes déjà vulnérables. Alors que la participation citoyenne se déplace progressivement vers l’utilisation des TIC, les personnes vivant «du mauvais côté de la fracture numérique» sont passibles d’être laissées pour compte. C’est le cas tout particulièrement des personnes vivant avec une déficience intellectuelle (DI1).

1 Bien qu’elle soit parfois contestée, l’appellation «déficience intellectuelle» (DI) est couramment utilisée pour désigner les personnes qui bénéficient des services de Compagnons de Montréal. L’abréviation «DI» est utilisée dans le present texte.

Sans être tout à fait exclues de la société, ces personnes présentent de nombreux signes de vulnérabilité, liés pour une large part à des aptitudes considérées comme limitées à l’egard de plusieurs dimensions de la personne (limitations cognitives, motrices, visuelles, etc.). Outre les effets liés directement à la déficience intellectuelle, comme les troubles de mémoire ou des problèmes de motricité, plusieurs traits secondaires sont associées aux «personnes avec DI»2. Plusieurs de ces traits secondaires sont apparents et provoquent, de la part d’individus peu habitués à la DI, des réactions souvent négatives, voire parfois une forme de dégoût. L’inclusion sociale des personnes avec DI requiert donc une approche sensible, centrée sur l’empathie et le respect de la personne. Cette approche est d’ailleurs au cœur de la mission de Compagnons de Montréal, organisme œuvrant depuis plus de 50 ans dans le domaine de l’inclusion sociale d’une telle clientèle.

Peu d’attention a été portée à l’usage des technologies de l’information et de la communication (TIC3) par des personnes avec DI. Le C.A.F.É. internet de Compagnons de Montréal est un projet pilote visant à combler une telle lacune.

Ce projet pilote comporte trois volets principaux:

  • Accès à Internet et à des postes informatiques par une clientèle mixte.
  • Formation à l’utilisation des TIC.
  • Recherche sur l’inclusion numérique des personnes avec DI.

Le présent document porte sur le troisième de ces volets. Il constitue un rapport final portant sur la recherche effectuée dans le cadre du C.A.F.É. de Compagnons.

Recherche ethnographique

Le volet recherche du projet C.A.F.É. internet de Compagnons de Montréal porte sur l’inclusion numérique des personnes adultes vivant avec une déficience intellectuelle au Québec.

Il s’agit d’une collaboration entre Compagnons de Montréal et Communautique avec, comme point de convergence entre les deux organismes, l’ensemble des besoins et usages informatiques des adultes vivant avec une déficience intellectuelle. L’expertise de Communautique en matière d’inclusion numérique et d’appropriation technologique est couplée à la longue expérience de Compagnons de Montréal dans le domaine de la déficience intellectuelle.

Le travail de terrain de ce volet est effectué par Alexandre Enkerli, enseignant en anthropologie et en sociologie, collaborateur de Communautique dans le cadre de divers projets ethnographiques. Bien qu’elle puisse provenir du milieu académique, la démarche utilisée par ce chercheur se veut adaptée aux besoins spécifiques du contexte communautaire.

2 L’appellation «personne avec DI» est utilisé dans le présent texte pour identifier une personne adulte vivant avec une déficience intellectuelle au Québec.
3 Dans le cadre du présent document, l’appellation «TIC» est utilisée pour désigner l’utilisation de postes informatiques et d’Internet.

Étapes de la recherche

Le volet recherche qui fait l’objet du présent document comporte les quatre étapes suivantes:

  •  Élaboration du cadre de recherche
  •  Travail de terrain
  •   Analyse des données
  •  Rédaction du présent document

Ces étapes ont été effectuées de mai 2011 à mars 2012.

Cadre de recherche

Le cadre de recherche a été élaboré de mai à septembre, en amont des activités du C.A.F.É. et en parallèle avec les dernières phases de la préparation à l’ouverture de ce dernier.
Le cadre de recherche fut le résultat d’une collaboration entre les personnes suivantes:


Alexandre Enkerli, chercheur
Vincent Verfaille, chef de projet
Delphine Ragon, directrice des programmes communautaires


L’approche ethnographique étant au cœur de la démarche de recherche, une part importante de l’élaboration du cadre de recherche s’est effectuée par la participation du chercheur à certaines activités de Compagnons de Montréal en général et de l’équipe du C.A.F.É. en particulier. Cette participation a d’ailleurs servi de base au travail de terrain, effectué par la suite.

Outre un document cadre de recherche, livré en septembre, ce travail a donné lieu à trois séances données par le chercheur à l’équipe du C.A.F.É. de Compagnons:


Une présentation des axes de recherche, le 2 septembre
Deux sessions de formation ethnographique, les 18 et 25 novembre

  • Travail de terrain
    Le travail de terrain proprement dit se concentre sur deux principales méthodes de recherche, l’observation participante et l’entrevue individuelle. Le présent rapport est le fruit de ce travail de terrain.
  • Observation participante
    Les principales sessions d’observation participante se sont déroulées d’octobre à mars.

D’une durée moyenne d’environ cinq heures et demie, ces sessions d’observation participante ont été concentrées autour de l’analyse de dynamiques de groupe, particulièrement en ce qui concerne l’inclusion sociale et les usages innovants. Par ailleurs, de courtes séances ponctuelles d’observation participante (d’une durée moyenne d’environ deux heures) ont eu lieu durant la même période. En plus de permettre la validation rapide de certaines problématiques de recherche, ces courtes séances ont permis un suivi avec l’équipe d’intervention ainsi que le maintien du rapport avec les personnes présentes au C.A.F.É., tant intervenants que participants.

En contexte d’observation participante, le chercheur a généralement pris le rôle d’un participant du C.A.F.É., occupant un poste informatique pour la durée de son passage. Un stylo numérique ainsi que le large carnet qui lui est associé ont été utilisés lors de chacun de ces passages dans le but de recueillir les notes d’observation du chercheur. Le stylo numérique enregistre le contenu textuel et graphique produit par son utilisation. En contexte d’observation, ce stylo facilite donc l’archivage sur support informatique des notes prises par le chercheur.

Dans le but de préserver la confidentialité des participants et de l’équipe d’intervention, ces notes d’observation constituent les seuls enregistrements effectués en cours d’observation, bien que le stylo numérique permette l’enregistrement audio. Par ailleurs, les noms des participants ont été omis des notes d’observation.

Entrevues semi-dirigées

Six entrevues semi-dirigées ont été réalisées de février à mars. Ces entrevues, d’une durée moyenne d’environ 50 minutes, avaient pour but principal d’explorer les axes et thèmes de recherche énoncés dans le document cadre de recherche. Au cours de ces entretiens, une attention particulière a été portée aux usages spécifiques de la technologie. Ces entrevues ont été réalisées avec les sept personnes suivantes (deux d’entre elles ayant participé à une entrevue conjointe):

  • Trois membres de l’équipe d’intervention.
  • Trois participants4 (dont un avec DI).
  • Un membre de l’équipe de soutien.

Ces entrevues furent enregistrées par l’entremise du stylo numérique utilisé pour la prise de notes. En cours d’enregistrement, le contenu sonore est synchronisé avec les notes d’entrevue prises par le chercheur. Le résultat de ce processus, des fichiers à la fois graphiques et sonores, est archivé sur ordinateur.

De nombreuses discussions informelles (y compris des entretiens confidentiels) ont aussi eu lieu en contexte d’observation. Plusieurs éléments attribués à des participants ou des intervenants dans le présent document proviennent de ces entretiens plus informels, qui ont eu lieu tout au long du projet.

4 À la fois pour alléger le texte et pour protéger l’anonymat des personnes concernées, le genre masculin est utilisé dans le présent document sans égard au sexe de l’individu concerné.

Analyse des données

Suite au travail de terrain proprement dit, les données recueillies par méthodes d’observation participante et d’entrevue individuelle ont été analysées par le chercheur.

Ce processus d’analyse comprend les étapes suivantes:

  • Lecture des notes d’observation et d’entrevue.
  • Identification de thèmes d’analyse.
  • Transcription et encodage des entrevues.
  • Approfondissement des thèmes d’analyse.
  • Retour sur des données spécifiques.

Une partie de ce travail d’analyse s’est effectué en parallèle avec le travail de terrain, permettant une adaptation continuelle de la démarche. C’est surtout le cas de la lecture des notes d’observation et l’identification des thèmes d’analyse, qui entrent en rétroaction avec le processus d’observation participante. Ainsi, le travail de terrain et le processus d’analyse forment une démarche itérative, visant l’affinement des résultats.

Axes, thèmes et notions de base de la recherche

Tel que décrits dans document élaboré à la première étape du processus de recherche, les axes suivants ont servi de cadre à la démarche du chercheur:

  • Accès aux services gouvernementaux
  • Inclusion et exclusion
  • Intégration et adaptation
  • Autonomie et dépendance
  • Littératie


Bien que ces axes aient été décrits dans le document cadre de recherche, il convient de les résumer brièvement:

  • Dans le cadre de cette recherche, l’accès aux services gouvernementaux correspond généralement à l’utilisation de divers formulaires et procédures permettant à des personnes avec DI d’obtenir de tels services.
  • L’inclusion et l’exclusion ont été décrites selon un axe affectant à la fois la vie sociale et l’utilisation des technologies.
  • L’intégration et l’adaptation portent sur les stratégies d’intervention.
    Les notions d‘autonomie et de dépendance font appel à la possibilité pratique des personnes avec DI d’effectuer diverses tâches par elles-mêmes, sans assistance.
  • En tant qu’ensemble de compétences de base, la littératie a été associée à la fois à l’alphabétisation (littératie textuelle) et à l’usage de l’informatique (littératie numérique).

Par ailleurs, les thèmes préliminaires suivants ont été identifiés au début du processus et ont pris part à la recherche:

  • «Un projet à l’échelle humaine»: respect de la personne.
  • «Une population diversifiée»: la DI est un phénomène complexe.
  • «Pratiques inclusives»: la dimension active de l’inclusion sociale.
  • «Lacunes du système»: manque de sensibilisation technologique dans le milieu de la DI et de l’éducation spécialisée.
  • «Technologie et espoir»: amélioration possible de la condition des personnes avec DI.
  • «Adaptation»: innovation spécifique et usages innovants, tant dans les approches que dans les outils.

Ces thèmes et axes sont demeurés pertinents tout au long du processus de recherche. Suite au travail de terrain, les concepts suivants sont devenus particulièrement signifiants:

Estime de soi
Absence de stigmate
Le C.A.F.É. comme espace

Ce dernier concept constitue d’ailleurs un point central du présent document et sera traité à part.

Estime de soi

L’estime de soi est un thème central pour plusieurs participants. Maîtriser une nouvelle technologie constitue un développement important pour chacun. La démystification de l’informatique est un des plus importants effets du café.

Si l’orgueil est individuel, l’estime de soi est proprement sociale, s’élaborant dans le rapport à l’autre. Se savoir capable d’accomplir une tâche complexe est d’autant plus valorisant que cette capacité est liée à la perception d’autrui.

Une forte pression sociale entoure l’utilisation de l’informatique en général et d’Internet en particulier. La non-connaissance d’Internet est désormais un critère d’exclusion sociale et la fracture numérique est fortement sentie d’un point de vue individuel. Apprendre à naviguer sur Internet est une façon de se conformer à de nouvelles

normes sociales. À l’heure où le courriel et divers autres moyens de communication deviennent centraux dans diverses sphères sociales, le fait de ne pas les utiliser résulte en un fort sentiment d’isolement.

Dans le cas de personnes avec DI, l’infantilisation constitue une menace fréquente à l’estime de soi. Certaines approches de la DI, par leur utilisation du concept d’«âge mental», peuvent avoir exacerbé ce problème. Selon un membre de l’équipe de soutien, certains participants aux activités de Compagnons ont été si souvent infantilisés qu’ils peuvent avoir intériorisé une identification infantile pourtant en déphasage avec leur âge chronologique. L’infantilisation est d’ailleurs un problème complexe touchant l’ensemble du domaine de la relation d’aide. Dans le cadre d’une formation donnée aux intervenants du C.A.F.É., Hajer Chalghoumi a d’ailleurs insisté sur le soin particulier à apporter à ce problème.

La clientèle du C.A.F.É. étant d’âge adulte, il est essentiel que ces participants soient à tout moment traités comme des adultes. Un problème peut survenir en vertu de l’association faite par plusieurs entre littératie et certaines des premières phases du développement individuel. Ainsi, plusieurs des sites ou outils conçus pour des non- lecteurs ont comme «public cible» des enfants d’âge préscolaire. Bien que ces sites et outils soient clairement inappropriés à la clientèle du C.A.F.É., ils sont suffisamment présents pour faire écran à des outils et sites qui pourraient être appropriés au contexte qui nous intéresse.

Absence de stigmate

Dans la population en général, les limitations cognitives sont largement stigmatisées. Il est courant pour des membres du public de montrer du mépris, voir du dégoût à l’égard des personnes avec DI. Entre autres, une attitude négative est facilement observable dans les transports en commun, autour de Compagnons de Montréal. Un comportement apparemment neutre face à une personne avec DI ne garantit en rien une attitude positive ou neutre par rapport à la déficience. En feignant d’ignorer une personne avec DI, une personne bien intentionnée peut néanmoins contribuer à la stigmatisation de cette personne.

La notion de «statut dominant» semble utile dans la description du phénomène social entourant la DI. Les statuts d’un individu avec DI peuvent être tout aussi complexes que ceux d’une autre personne. Par exemple, le sexe, l’âge et l’origine sociale d’un individu sont des critères pertinents dans la détermination du statut de cette personne, que celle-ci ait ou non une DI. Toutefois, la DI a généralement priorité sur les autres statuts et semble avoir plus d’impact sur les rapports sociaux que d’autres dimensions de la personne. Il s’agit donc d’un type particulier de «nivellement vers le bas» lié à la désindividualisation. Dans quelques cas, des personnes avec DI démontrent une certaine androgynie dans la voix ou même dans l’apparence physique.

Les membres de l’équipe de Compagnons de Montréal en général, et les intervenants du C.A.F.É. en particulier, tentent de ne pas traiter la DI comme statut dominant. À Compagnons, une personne avec DI devrait pouvoir s’épanouir pleinement.

Le C.A.F.É. de Compagnons est le lieu idéal pour cet épanouissement.

Le C.A.F.É. comme espace

Internet est souvent décrit comme un espace virtuel, dépassant les contraintes des espaces physiques. Cependant, Internet demeure lié à des réalités concrètes, à des configurations spatiales. Le C.A.F.É. internet de Compagnons de Montréal représente un exemple particulier d’une réalité concrète liée à Internet et à l’usage de la technologie.

Espace physique

Le C.A.F.É. est tout d’abord un lieu particulier, situé sur la 1ère avenue près de la rue Beaubien, dans l’arrondissement Rosemont–La Petite-Patrie, à Montréal. Cette situation géographique le rend relativement facile d’accès en transport en commun ou en transport adapté.

Les dimensions de la porte d’entrée ainsi que l’absence d’une rampe d’accès empêchent les participants en chaise roulante d’accéder au C.A.F.É., malgré la politique d’inclusion du lieu.

Il s’agit d’un espace ouvert, sans cloison. Les postes informatiques ne sont donc pas isolés les uns des autres. Un tel arrangement tend à encourager les contacts entre individus. Les postes des participants sont mobiles mais ils sont généralement disposés en rangées parallèles, tous orientés dans la même direction. Face aux postes des participants se trouvent le poste de travail des intervenants et celui du CREP5, ainsi qu’un tableau qui sert aussi d’écran de projection.

Un espace d’apprentissage

Selon son énoncé-même, ce centre de «création, apprentissage, formation, éducation populaire» (C.A.F.É.) est un lieu où les participants viennent acquérir des connaissances et des compétences. En ce sens, il peut être lié à d’autres centres de formation et d’apprentissage comme les écoles où doivent aller plusieurs personnes avec DI. D’ailleurs, selon les propos d’un membre de l’équipe d’intervention, une participante a déjà utilisé le terme «maîtresse» pour parler d’une intervenante.

Contrairement à la plupart des établissements d’apprentissage, le C.A.F.É. dispense un enseignement personnalisé, centré sur les besoins de chaque participant. La diversité des participants est telle qu’une approche normalisée serait à la fois inefficace et difficile à implémenter. Selon certains intervenants, la variation du degré de littératie des participants (la coexistence de non-lecteurs et de lecteurs au sein du groupe d’apprenants) cause une complexification du mode de formation.

En tant que formateurs, les membres de l’équipe du C.A.F.É. doivent donc faire preuve d’une grande écoute puisque chaque séance de formation est unique. En outre, les intérêts particuliers de chaque apprenant sont tenus en compte et servent de base aux divers projets d’apprentissage. Ainsi, les activités d’apprentissage d’un participant fasciné par les églises seront concentrées sur les églises et l’intérêt marqué d’une participante pour les trains sert de base à l’utilisation du C.A.F.É. par cette participante.

De tels exemples sont nombreux et, d’une clientèle avec DI, il n’est pas surprenant de voir émerger des intérêts forts qui tendent à l’idée fixe voire à l’obsession. Par exemple, selon un membre de l’équipe, un des participants démontre un intérêt plus que marqué pour les images de femmes qui se maquillent. Une telle idiosyncrasie serait difficile à tenir en compte dans le contexte d’un enseignement de groupe. Pourtant, le fait d’atteindre un participant à travers ses intérêts propres est d’autant plus important que plusieurs d’entre eux sont atteints de TED rendant difficile le contact interpersonnel.

Certains intérêts sont moins idiosyncratiques. Parmi les intérêts communs à plusieurs participants se situent des artistes, des lieux, des sports, des espèces animales et des émissions de télé (dont plusieurs sont longtemps disparues des ondes). Toutefois, bien que ces intérêts soient souvent partagés par plus d’un apprenant, ils n’en sont pas pour autant universels à l’ensemble des participants.

5 Le Centre de ressources éducatives et pédagogiques (CREP) de la Commission scolaire de Montréal (CRDM) collabore avec Compagnons de Montréal par l’entremise d’un enseignant.

En tant que caractéristique d’une part importante de la clientèle du C.A.F.É., la DI demande une attention particulière. Tel que mentionné par certains participants et intervenants, la patience est de mise dans le mode de formation appliqué par les membres de l’équipe et il serait sans doute impossible pour ces derniers de tenter de forcer les apprenants à apprendre plus rapidement qu’ils ne le font. Le niveau de «directivité» appliqué lors de formation est d’ailleurs plus bas que dans plusieurs autres contextes d’apprentissage. Le mode impératif est relativement rare dans la parole des formateurs et le ton est plus souvent conciliant que directif.

Le suivi des apprentissages s’effectue à l’aide de «notes évolutives» dont le modèle a été conçu et formalisé par les intervenants. Ces notes démontrent, d’un œil non critique, la progression du travail de formation. Bien que des objectifs d’apprentissage soient décrits dans ces plans individualisés de formation, aucun échéancier n’est évoqué.

Un des principaux exercices d’apprentissage effectués au C.A.F.É. consiste en une «navigation dirigée». Le modèle est assez simple mais semble assez efficace en fonction des besoins des participants. Il s’agit de visiter du contenu sur le Web et de répondre à quelques questions au sujet de ce contenu. Le thème d’une telle navigation est lié aux intérêts du participant (artiste, autobus, etc.). La plupart des questions sont posées sur le mode «vrai ou faux», l’énoncé de la question consistant en un extrait, modifié ou non, du contenu Web. Il est donc demandé au participant qui suit la navigation dirigée d’accéder à une page Web et d’identifier des divergences entre cet original et des extraits de cette page. Cet exercice peut être effectué oralement (dans le cas de participants «non-lecteurs») ou sur papier (dans le cas de participants alphabétisés). Fait intéressant, plusieurs de ces «navigations dirigées» ont été conçues par des participants avec DI. D’ailleurs, une limitation cognitive d’une des participantes à avoir créé une telle navigation dirigée fut révélée par le fait qu’elle n’était pas en mesure de créer des questions dont les réponses seraient fausses. Le fait de dépasser une telle limitation représenterait donc un pas important dans son cheminement.

Un autre exercice fréquemment effectué au C.A.F.É. est la création d’un diaporama à l’aide du le logiciel PowerPoint. Dans certains cas, le diaporama est accompagné d’une trame sonore qui en constitue la narration. Dans d’autres cas, le diaporama est présenté publiquement par le participant qui l’a créé. Compte tenu des participants auxquels il s’adresse, il s’agit d’un exercice relativement complexe puisqu’il implique la gestion de fichiers (y compris la sauvegarde sur clé USB), la gestion de contenus graphiques et/ ou textuels, l’utilisation d’un logiciel de bureautique et la création d’une narration. Si toutes ces tâches peuvent paraître simples, elles représentent chacune un défi pour des personnes ayant des limitations cognitives.

Un exemple frappant de l’effet de ces exercices est le travail effectué par un participant de longue date qui a créé une «navigation dirigée» sous forme de diaporama, combinant donc les deux exercices décrits ci-dessus. Lors de son arrivée au C.A.F.É. au cours de l’automne, ce participant était considéré comme «non-lecteur», n’étant alors pas en mesure de lire du texte continu. En présentant son diaporama, ce participant à pu lire avec une aisance relative le texte d’une vingtaine de diapositives, constitué de légendes parfois longues d’images contenues sur une page Web décrivant l’histoire du transport en commun à Montréal. Cette réalisation est d’autant plus notoire que ce texte comprenait plusieurs noms propres ainsi que des termes en anglais que ce participant ne semblait pas connaître.

De tels exercices permettent donc aux participants d’acquérir diverses compétences, que celles-ci soient ou non liées à l’informatique. Un pan important de l’apprentissage effectué au C.A.F.É. est constitué par l’acquisition de connaissances. Bien entendu, les exercices visant l’acquisition de compétences comportent des aspects liés aux connaissances. Mais, à l’opposé de ces exercices, l’acquisition de connaissances se fait souvent sur le mode exploratoire.

Un espace de découverte

Si la plupart des participants arrivent au C.A.F.É. avec un désir d’apprendre, il leur est souvent difficile de distinguer précisément ce qu’ils souhaitent acquérir comme ensemble de compétences ou de connaissances. Que ces personnes vivent ou non avec une DI, elles n’ont généralement qu’une idée très vague de ce que peuvent être l’informatique et Internet. Une part importante du travail des intervenants est de permettre aux participants de découvrir par eux-mêmes les possibilités offertes par l’ordinateur et la connexion au réseau.

Pour plusieurs participants, ce qui intrigue dans les TIC est lié au discours des proches ou des médias. Ils souhaitent comprendre ce qu’ils manquent, ce dont les gens parlent. Il est donc question ici d’une pression sociale qui force les gens à en apprendre plus en leur faisant comprendre qu’ils manquent quelque-chose.

Internet est particulièrement difficile à décrire. Selon les propos de certains participants, le réseau semble être perçu comme bien plus petit que ce qu’il est réellement. Des participants manifestent le désir de «faire le tour d’Internet» et des services particuliers (courriel et Facebook, entre autres) sont parfois identifiés comme cibles de ce que les participants désirent explorer. Certains intervenants tentent parfois d’expliquer à des participants la vraie nature d’Internet sans rendre celui-ci écrasant. Mais Internet est un «océan» si gigantesque qu’une telle entreprise d’explication semble souvent vouée à l’échec et ne porte fruit que dans certains cas.

L’exploration d’Internet par les participants s’effectue donc à petite échelle, à travers quelques services et sites particuliers. Lorsque les proches et les médias mentionnent le courriel ou Facebook, par exemple, ces participants gardent en tête la notion qu’ils devraient un jour explorer le courriel ou Facebook et ils en font éventuellement la demandes aux intervenants. Les intervenants ont d’ailleurs aidé plusieurs participants à ouvrir des comptes de courriel ou à construire des profils sur Facebook ou sur d’autres services. Après des précautions d’usage et certaines explications au sujet de ce qui est disponible, les intervenants permettent aux participants de se faire leur propre idée du service en question. Si de nombreux comptes de courriels semblent demeurer actifs et que plusieurs participants sont présents sur Facebook, des participants plutôt isolés prennent surtout conscience d’un effet limitatif du monde des réseaux: un réseau sans contact est très insatisfaisant.

La connaissance de services existants sert donc de moteur à plusieurs explorations d’Internet. Mais d’autres modes exploratoires sont facilités au C.A.F.É. internet.

Par exemple, un «portail des participants» a été créé pour regrouper un nombre de sites et pages Web susceptibles d’intéresser les participants avec DI ou non. Les sections suivantes sont utilisées pour classifier les éléments du portail:

  • Intro à l’ordinateur
  • Jeux
  • Recherche
  • Réseaux sociaux
  • Transport
  • Recettes
  • Organismes communautaires
  • Formulaires
  • Formateurs

Certaines de ces sections sont subdivisées en catégories. Par exemple, la section sur les jeux inclut des jeux de mémoire, de vocabulaire, d’échec et de dame ainsi qu’un solitaire, des casse-têtes et des compilations de jeux.

La section «formulaires» comporte des liens vers trois portails:

  • Le site en accès simple de la Ville de Montréal.
  • Le portail «Mon gouvernement en ligne» créé par l’Avenue inc. pour faciliter l’accès aux services gouvernementaux.
  • «La commode», un portail créé par le Groupe L’Itinéraire pour faciliter l’accès spécialisé aux services gouvernementaux par des personnes vulnérables (nouveaux arrivants, personnes sans-abri, aînés…).

Ces portails permettent aux participants d’explorer Internet à leur guise sans se perdre dans la masse d’information dont il recèle.

D’autres effectuent des recherches actives et explorent Internet par eux-mêmes. Il s’agit surtout pour eux de trouver des contenus en ligne liés à certains de leurs intérêts particuliers.

Un espace de mixité et de rencontre

La clientèle du C.A.F.É., comme celle de Compagnons de Montréal, est majoritairement constituée d’adultes vivant avec une déficience intellectuelle. Toutefois, le C.A.F.É. est accessible à tous et une part importante du projet consiste en une mise en présence de clientèles mixtes.

Le but est ici de permettre et non de forcer la rencontre entre divers participants.

Quelques tentatives de pairages entre participants ont été effectuées, surtout dans le cas de projets particuliers. En général, toutefois, le contact entre participants se fait de façon libre, informelle et sans contrainte.

Puisque la mission du C.A.F.É. est explicitement liée à la DI, il peut sembler être
réservé à l’usage exclusif de personne avec DI. Un participant qui ne vit pas avec une
DI a d’ailleurs évoqué cette perception pour expliquer le délai précédant son arrivée au C.A.F.É., malgré un intérêt marqué. Selon ce participant, la fréquentation du C.A.F.É. par des personnes ne vivant pas avec une DI a pu être diminuée parce que des participants potentiels ont cru être exclus.

Bien que l’informatique soit souvent considérée comme activité solitaire, l’utilisation d’ordinateurs voisins les uns des autres facilite parfois le contact entre individus.

Tel que noté précédemment, l’ouverture du lieu facilite le contact entre participants. Une analogie peut être faite aux «espaces communautaires de travail» (“coworking spaces”). Un tel espace est un lieu de «cotravail» (de travail partagé), qui encourage le contact tout en mettant en commun divers services. Un des principaux buts d’un tel lieu est de rompre l’isolement des gens en situation de télétravail. Dans un contexte où il est possible de travailler sans bureau propre, travailleurs autonomes et entrepreneurs ont tôt fait de remarquer l’importance d’un environnement stimulant. Plusieurs d’entre eux ont pris l’habitude de travailler dans des cafés.

Tout comme le C.A.F.É., les espaces communautaires de travail comportent généralement des espaces ouverts où les membres peuvent vaquer, côte à côte, à leurs occupations. Aussi comme au C.A.F.É., ces espaces offrent généralement une connexion sans-fil, permettant aux utilisateurs d’ordinateurs portables de demeurer branchés à Internet. Contrairement au C.A.F.É., par contre, les espaces communautaires de travail ne mettent généralement pas d’ordinateurs à la disposition de leurs membres.

Cette analogie entre le C.A.F.É. et les espaces communautaires de travail peut sembler incongrue. Après tout, ces espaces ont pour clientèle principale des artisans de la sphère technologique alors que le C.A.F.É. est surtout fréquenté par des personnes avec DI. De plus, les espaces communautaires de travail favorisent la productivité, alors que le C.A.F.É. favorise l’apprentissage. Toutefois, la possibilité d’établir le contact est centrale tant au C.A.F.É. que dans le cadre du travail partagé.

Dans le cas particulier du C.A.F.É., il est possible de voir ce qui s’affiche à l’écran du poste informatique de chaque participant. Il n’est d’ailleurs pas rare pour un participant d’être interpellé par un élément apparaissant à l’écran d’un autre, ce qui a pour effet de «briser la glace» en fournissant un sujet de conversation entre deux participants.

Au C.A.F.É., les contacts les plus fréquents s’effectuent entre participants et intervenants. Les deux modes d’utilisation du C.A.F.É., «accompagné» (formation directe) et «autonome» (utilisation libre), impliquent deux types de contacts entre participants et intervenants. Dans le mode «accompagné», un intervenant et un participant sont assis côte à côte au même poste informatique. Dans le mode «autonome», l’intervenant est disponible pour prêter assistance au participant lorsque celui-ci en manifeste le besoin, généralement de façon orale.

Dans le premier cas, celui de la formation directe, le contact entre un participant et un intervenant forme une sorte de «bulle», une sphère isolée d’interaction continue, bien qu’aucune frontière physique ne soit présente. Cet «effet de bulle» peut être brisé à l’occasion, si quelqu’un d’autre sollicite directement l’attention de l’intervenant ou du participant. Mais il s’agit généralement d’un contact prolongé et exclusif. Le rôle de tuteur joué par l’intervenant implique une forme d’intermédiation qui limite les contacts que le participant peut avoir avec d’autres personnes présentes au C.A.F.É., du moins pour la durée de la formation.

Dans le second cas, celui de l’utilisation libre, les interactions entre participant et intervenant sont ponctuelles et ouvertes. D’ailleurs, il n’est pas rare pour un intervenant d’effectuer un va-et-vient continu, passant constamment d’un poste à l’autre. Dans de telles situations, le participant peut entrer en contact avec d’autres personnes présentes au C.A.F.É., selon son degré de concentration ou son humeur. L’intervenant est donc interlocuteur privilégié du participant en mode «autonome», mais ce dernier peut facilement établir le contact avec d’autres personnes présentes.

Les allers et venues de chacun fournissent l’occasion de nombreux contacts. Ainsi, lorsqu’une personne arrive au C.A.F.É. et qu’elle connaît certaines des personnes présentes, il est coutumier pour elle de procéder à des salutations d’usage. Cette habitude est d’autant plus notoire que plusieurs des personnes présentes sont introverties et que certaines d’entre elles sont atteintes d’un TED.

Aussi simple et prévisible que cette habitude puise paraître, elle permet de souligner le rôle de catalyseur joué par les participants réguliers. Puisque les formations se développent généralement dans la durée, la participation régulière est chose courante. Les membres du C.A.F.É. ont non seulement de fréquents contacts entre eux, mais leurs interactions ont pour effet de transformer le C.A.F.É. en groupe social. Comme dans un café de quartier, les «clients habitués» participent à la socialisation des nouveaux venus, bien que d’une façon moins directe que les intervenants.

Bien qu’infréquents, les contacts entre personnes avec DI et d’autres membres de la communauté sont significatifs. C’est à travers de tels contacts que s’opère la mixité. De ce point de vue, l’attitude de chacun est particulièrement pertinente.

Se trouvent, parmi les participants au C.A.F.É. qui ne vivent pas avec une DI, des personnes qui ont un intérêt particulier pour la DI. Cet intérêt est parfois lié à un membre de la famille qui vit avec une DI, le milieu familial fournissant alors un contexte d’exposition à la DI. Pour d’autres, le lien à la DI s’effectue au sein d’un organisme où se trouvent des personnes avec DI, par exemple dans le cas d’employés de Compagnons de Montréal. Dans ces deux cas, le lien à la DI est direct et il est possible de parler du «milieu de la DI», constituant un cercle large qui inclut toute personne entretenant un lien étroit et régulier avec la DI. En contexte d’observation, la très grande majorité des participants au C.A.F.É. semblaient provenir du milieu de la DI.

Parmi les personnes sans lien direct à la DI se trouvent quelques membres de la communauté locale qui cherchaient au C.A.F.É. une aide particulière. Par exemple, en contexte d’observation, les besoins dont a fait part une des premières personnes non issue du milieu de la DI à se présenter au C.A.F.É. étaient davantage liés au travail social qu’à l’informatique. Il s’agissait surtout d’identifier et d’entrer en contact avec des services d’aide, gouvernementaux ou communautaires. Une partie de ces tâches fut effectuée par l’entremise d’Internet, mais la personne impliquée souhaitait poursuivre sa démarche par téléphone, avec l’assistance de l’équipe d’intervention. Ce cas particulier a présenté un défi pour l’équipe d’intervention puisque les besoins manifestés dépassaient la mission du C.A.F.É. tout en étant liés à cette mission. Selon des membres de l’équipe du C.A.F.É., des besoins sociaux se sont combinés aux besoins informatiques à d‘autres reprises depuis l’ouverture du C.A.F.É., exigeant réflexion au sujet à la fois de la mission du C.A.F.É. et du travail des membres de l’équipe. Dans ce contexte, le C.A.F.É. est surtout perçu comme un lieu de relation d’aide, la dimension informatique du travail effectué au C.A.F.É. devenant secondaire. Il incombait donc aux membres de l’équipe de s’assurer du maintien de la mission du C.A.F.É. qui, si elle comporte une dimension sociale, ne fait pas appel au domaine de compétence du travail social.

Outre leur intérêt particulier, de tels cas sont révélateurs du type de rapports entretenus par les participants au C.A.F.É., par-delà la DI. Une uniformisation des contacts sociaux s’effectue dans ce contexte d’exclusion sociale: tous les participants sont «dans le même bateau» et, dans une certaines mesures, les différences entre individus sont mises de côté lors de contacts au C.A.F.É. internet.

Un espace d’expérimentation et de liberté

Le C.A.F.É. est le contexte de démarches particulières, tant de la part des participants que des membres de l’équipe. Sans être un mot d’ordre explicite, un esprit d’expérimentation libre semble dominer plusieurs activités au C.A.F.É. internet.

Expérimenter librement implique tout d’abord un droit à l’erreur. C’est d’ailleurs un des principes fondamentaux de tout apprentissage et il est particulièrement approprié dans le cadre de ce projet pilote. Après tout, il peut être particulièrement difficile pour des personnes avec DI d’utiliser des outils informatiques si chaque action est passible de sanction. D’une manière plus générale, l’initiation à l’informatique fait face, au C.A.F.É. comme ailleurs, au problème de la peur de l’erreur. Pour plusieurs, la connaissance des conséquences de certains problèmes informatiques (y compris les virus) a créé une peur de l’ordinateur dont il est difficile de se départir. Comme d’autres peurs (celle de l’eau dans le contexte de cours de natation, par exemple), la peur de l’ordinateur est une frontière qu’il est nécessaire de franchir avant tout autre développement. Rien n’est plus invalidant que la notion qu’une simple erreur de manipulation peut avoir des conséquences désastreuses.

Heureusement, plusieurs dimensions de l’informatique peuvent donner droit à l’erreur. Certaines précautions ont d’ailleurs été prises au C.A.F.É. pour limiter les conséquences d’une mauvaise utilisation des postes. Par exemple, chaque poste est remis à son état initial à chaque démarrage, tous les fichiers ajoutés depuis la dernière utilisation étant effacés. Bien entendu, les fonctions administratives sont bloquées sur chaque poste, le profil utilisateur ne permettant pas l’exécution de logiciels externes, malicieux ou non. Par ailleurs, l’assistance prêtée par les intervenants permet de prévenir certains problèmes. Par analogie, le C.A.F.É. fonctionne un peu comme une auto-école. Si le participant «tient le volant», l’intervenant qui l’accompagne a la possibilité d’éviter les obstacles, réduisant grandement le risque perçu de la mauvaise utilisation de la machine.

Le droit à l’erreur peut donc aider à vaincre la technophobie et constitue une part importante de l’expérimentation libre. Un principe similaire est en jeu dans la simulation informatique, qui est utilisée par des spécialistes de divers domaines pour effectuer des procédures expérimentales sans que leur échec n’ait d’impact hors du contexte expérimental. Malgré une grande différence de contexte entre l’initiation à l’informatique et l’utilisation de modèles sophistiqués dans des contextes scientifiques ou techniques, une même notion de limitation des conséquences sous-tend l’une et l’autre démarche.

Une autre composante de l’expérimentation libre est la possibilité de jouer avec les outils sans finalité concrète et pratique. Bien que les outils informatiques aient des buts utilitaires précis, ces outils permettent aussi l’exploration libre. Dans une certaine mesure, une telle exploration se situe au niveau de la «balade» plutôt que du déplacement. Les participants du C.A.F.É. peuvent se «promener» sur Internet sans but précis. De telles balades informatiques permettent aux participants de découvrir certaines possibilités du réseau. Ces activités libres sont donc à lier à l’utilisation du C.A.F.É. comme espace de découverte, utilisation qui a été décrite plus haut. Dans le contexte d’expérimentation libre, cependant, la découverte est une conséquence et non un but.

Dans d’autres cas, l’utilisation du C.A.F.É. a un but non-utilitaire. Sans être totalement absente, la dimension expérimentale est alors moins importante que ne l’est un principe de liberté.

Ainsi, certains participants vont au C.A.F.É. pour des activités qui, du moins en apparence, sont improductives. Tout comme pour la population en général, Internet peut avoir un aspect récréatif. Dans ce cas, le C.A.F.É. est un espace de liberté, un endroit où les participants peuvent vaquer librement à diverses activité (en autant qu’elles n’enfreignent pas au code de vie du lieu). Pour des gens dont la vie est parfois enrégimentée, comme plusieurs participants avec DI, un tel espace de liberté a une grande valeur.

Une notion de règlement est souvent présente dans les propos des participants avec DI. Même lorsqu’il s’agit d’une recommandation ou d’un conseil, une façon de procéder est conçue comme ayant un tel poids qu’elle fait figure de loi immuable. Des commentaires sur des choses que les participants n’ont «pas le droit» de faire ont une autre valeur que des commentaires sur ce qu’il est possible de faire. Des commentaires d’un membre de l’équipe de soutien à l’égard des obligations des résidents de Compagnons de Montréal vont dans le même sens. Le temps des activités collectives (y compris les repas) occupe une place prépondérante dans le fonctionnement des résidences et laisse peu d’options aux résidents. De telles personnes ont souvent peu de contrôle sur leurs vie. La simple possibilité de passer du temps hors d’activités dirigées peut donc enrichir leurs vies.

Deux activités principales sont à mettre au compte de la récréation libre: les jeux en ligne et le visionnement de vidéos. Tout jeu peut avoir un aspect éducatif, surtout dans le cas de personnes avec DI. D’ailleurs, les jeux répertoriés sur le «portail des participants» semblent mettre l’accent sur le développement de compétences cognitives. Il est toutefois important de souligner que, du point de vue du participant, le jeu peut aussi être perçu comme une activité improductive. Le participant qui va au C.A.F.É. pour jouer à un «jeu de mémoire» peut tirer de son activité des bénéfices au niveau du développement de sa capacité de mémoriser des images ou d’associer des mots à des images. L’aspect récréatif de cette activité n’en demeure pas moins importante et le C.A.F.É. prend alors le caractère d’un espace de liberté.

Le visionnement de vidéos a d’abord et avant tout une fonction récréative et il semble constituer une des activités préférées des membres de Compagnons de Montréal en général et des participants du centre de jour en particulier. Ces derniers ont pour la plupart des limitations cognitives plus importantes que celles qui affectent les autres membres de Compagnons. Par exemple, le niveau moyen de littératie parmi les participants du centre de jour est plus bas que celui d’autres membres de Compagnons, ce qui a des conséquences directes sur l’utilisation de moyens informatiques. Pourtant, un ordinateur désuet a été installé au centre de jour alors que le C.A.F.É. n’était qu’à l’état de projet. Bien que cet ordinateur n’ait pas été l’objet d’une démarche précise, il semble avoir trouvé son utilité auprès de la clientèle du centre de jour. Outre sa fonction au sein de projets particuliers, cet ordinateur sert surtout de lecteur multimédia et, plus particulièrement, de moyen d’accéder à des clips musicaux sur YouTube. Le faible niveau de littératie des participants est compensé en partie par la présence de nombreuses «imagettes» (“thumbnails”) permettant d’identifier visuellement les clips. Par ailleurs, certains participants du centre de jour sont en mesure de taper les noms d’artistes que d’autres participants souhaitent écouter. Il existe sur le marché des boîtiers décodeurs qui permettent aussi le visionnement de clips sur YouTube. L’utilisation d’un ordinateur comme boîtier décodeur est donc une adaptation appropriée au contexte.

Comme le laissait présager l’utilisation d’un ordinateur en tant que lecteur multimédia avant même l’ouverture du C.A.F.É., l’écoute de clips musicaux et le visionnement de vidéos constituent certaines des principales activités récréatives des participants, surtout parmi ceux dont les limitations cognitives sont les plus invalidantes. Les jeux auxquels peuvent jouer ces participants sont limités. D’ailleurs, ces jeux semblent souvent avoir été conçus pour de jeunes enfants, ce qui peut poser problème à plusieurs égards. Quoi qu’il en soit, l’ordinateur comme lecteur multimédia semble révéler un réel besoin chez cette clientèle.

Beaucoup a été dit sur les dimensions sociale et psychologique du loisir et du jeu. Compagnons de Montréal offre d’ailleurs diverses activités de loisir aux personnes avec DI: quilles, soirées de danse, boîte à chansons, activités de plein-air, projets artistiques… Dans ce contexte, le C.A.F.É. peut être perçu par certains participants comme un complément aux autres services offerts par Compagnons. Comme pour ces autres services, le C.A.F.É. est donc un espace où il est possible d’être soi-même. Un effet intéressant de cet état de cause est que la technologie prend alors un aspect familier. S’il est important pour plusieurs participants de démystifier l’ordinateur, l’utilisation de l’ordinateur pour visionner du contenu audiovisuel le rapproche de la télévision, qui fait partie de l’environnement des participants depuis bien longtemps. Contrairement
à la télévision, par contre, l’utilisation d’un ordinateur pour accéder à des contenus audiovisuels demande généralement un certain niveau de littératie. Le fait que des participants non-lecteurs soient en mesure de trouver certains contenus audiovisuels par eux-mêmes démontre l’importance de l’adaptation technologique.

L’enseignant du CREP a d’ailleurs eu une idée ingénieuse pour faciliter la recherche de contenus audiovisuels. Puisque Google permet la recherche de contenus à partir d’une image, cet enseignant a eu l’idée de créer une banque personnalisée d’images pour chaque participant non-lecteur désirant accéder à des contenus audiovisuels. Cette banque d’images est constituée d’un simple dossier d’images, placé sur la clé USB du participant. Ainsi, le fait de glisser-déposer l’image d‘un artiste dans le moteur de recherche d’images permet de retrouver des vidéos de cet artiste.

En expérimentant avec cette méthode, l’enseignant du CREP a dévoilé un aspect important de la technologie: l’innovation par l’usage inattendu. Si un tel esprit créatif est rarement encouragé socialement, il est un élément fondamental de l’innovation technique et se situe au cœur du «bidouillage» informatique (“hacking”). En poussant les outils au- delà de leurs fonctions premières, il est possible à la fois d’identifier de nouveaux enjeux de la technologie et de trouver des solutions nouvelles à des problèmes connus.

Tel que mentionné au sujet du type de formation dispensée au C.A.F.É., l’approche des intervenants est flexible et personnalisée. Cette approche est compatible avec la notion de laboratoire vivant qui a servi d’inspiration au volet recherche du projet C.A.F.É. internet.

Un laboratoire vivant est un lieu où l’expérimentation ouverte est encouragée. Cette expérimentation est observée par divers intervenants qui tentent d’identifier et de faire émerger des usages et projets innovants. Dans certains cas, les cas d’innovation sont menés vers un niveau supérieur où ils peuvent être approfondis avec l‘aide d’experts. L’innovation provenant d’un laboratoire vivants se veut ouverte et doit contribuer aux biens communs. L’innovation ouverte est donc un processus complexe qui est stimulé par les laboratoires vivants.

Dans l’exemple apparemment simple de la banque d’images facilitant la navigation de contenus audiovisuels se trouve en germe une innovation importante: la création possible d’un outil permettant à des utilisateurs non-lecteurs de naviguer sur Internet. Des outils permettant la création de signets visuels existent déjà. Par contre, ces outils étant conçus pour des utilisateurs avec un certain degré de littératie, ils exigent généralement l’utilisation de contenu textuel (titres de page, mots-clés…). Par ailleurs, le logiciel IdeoText d’Oralys permet aussi à des utilisateurs à faible niveau de littératie d’effectuer certaines tâches sur Internet. Toutefois, ce logiciel est fort coûteux et ne peut pas être utilisé sur tous les ordinateurs dont cet utilisateur est susceptible de se servir. La banque d’images sur clé USB offre donc l’avantage de la portabilité.

Un élément important d’un laboratoire vivant est l’approche par projets. Au lieu d’une utilisation complètement autonome ou un apprentissage basé sur des tâches déterminées à l’avance, l’approche par projets implique une collaboration entre participants et intervenants. Dans le cadre de cette approche, le laboratoire vivant accueille des participants qui souhaitent mener à bien des projets particuliers. Le rôle des membres de l’équipe du laboratoire vivant est alors d’accompagner les participants dans leurs projets. Les projets réalisés dans le cadre d’un laboratoire vivant peuvent être modestes ou ambitieux mais ils se distinguent par le fait qu’ils soient menés par les participants eux-mêmes. L’assistance accordée aux participants est alors centrée sur les besoins de ces derniers qui sont les vrais moteurs du processus. Une telle approche favorise l’autonomisation et évoque une philosophie constructiviste de l’apprentissage.

L’approche par projets peut se combiner à d’autres formules au sein d’un même lieu. De même que l’«utilisation libre» d’un service peut s’effectuer en parallèle avec une formation dirigée, l’approche par projets peut être utilisée avec un nombre restreint de participants.

Si les laboratoires vivants ont servi d‘inspiration au volet recherche du projet C.A.F.É. internet, l’approche a dû être adaptée au contexte particulier de ce centre. Ainsi, il peut être particulièrement difficile pour des personnes avec DI d’élaborer leurs propres projets, si modestes soient-ils. Dans certains cas, les projets entrepris par la collaboration entre participants et intervenants ont été proposés par les intervenants sur la base d’intérêts manifestés par les participants.

Un espace de travail

Pour les intervenants du C.A.F.É., celui-ci est un milieu de travail. Les intervenants forment en fait une équipe d’intervention et leur dynamique est utile à considérer dans le cadre du projet pilote C.A.F.É. internet.

Le recrutement et la formation des intervenants a occupé une part importante du processus de préparation à l’ouverture du C.A.F.É. de Compagnons. Ce projet ne pouvait s’appuyer sur aucun modèle préexistant et il fut nécessaire de créer un nouveau modèle.

L’équipe s’est modifiée quelque peu au cours du projet. L’équipe initiale se composait des personnes suivantes:

  • Animateurs/formateurs (intervenants) Shannon Willett
  • Samuel Chaloux
  • Shan Charbonneau
  • Chef de projet: Vincent Verfaille
  • Évaluation du projet: Fatma Adhadhi
  • Chercheur: Alexandre Enkerli (en collaboration avec Communautique)
  • Conseillère spéciale: Hajer Chalghoumi

Employés de Compagnons offrant du soutien interne:

  • Delphine Ragon (direction des programmes communautaires)
  • Roland Ayotte (ressources matérielles)
  • Jérôme Cattarin (centre d’activités)
  • Annabelle Petit (communication)

Les heures passées sur place par le chef de projet, Vincent Verfaille, ont diminué au cours de l’automne. Son implication est demeurée très forte et il est souvent disponible pour régler divers problèmes, mais sa présence dans le milieu de travail semble moins contribuer à la dynamique du groupe au C.A.F.É. internet.

Fatma Adhadhi, évaluatrice du projet, a pour sa part participé à la formation initiale et a travaillé au C.A.F.É. durant l’automne. Le travail de terrain effectué par le chercheur, Alexandre Enkerli, ne représentait qu’un nombre restreint d’heures de travail, distribuées tout au long du projet. Hajer Chalghoumi est en congé de maternité depuis l’automne.

En général, l’équipe de soutien est sollicitée de façon ponctuelle et ces membres ne font pas nécessairement partie de la dynamique de groupe, au C.A.F.É. de Compagnons. Toutefois, la présence de Delphine Ragon est notoire, celle-ci ayant adopté un rôle assez direct auprès des intervenants.

Avant l’ouverture du C.A.F.É., Francine Cyr s’est joint aux trois animateurs / formateurs qui avaient participé à la formation initiale. Bien qu’elle se soit ajouté à l’équipe après les autres, sont statut est, depuis son arrivée, le même que celui des autres animateurs/ formateurs.

Depuis l’ouverture du C.A.F.É., une réunion a lieu chaque vendredi matin. Sont présents: Vincent Verfaille, Francine Cyr, Shannon Willett, Shan Charbonneau, Samuel Chaloux et Delphine Ragon.

Bien que l’enseignant du CREP, Sylvain Anderson, ne fasse pas partie de l’équipe du projet (et ne participe pas aux réunions d’équipe), il contribue grandement à la dynamique de groupe, au C.A.F.É. de Compagnons. D’ailleurs, d’un point de vue extérieur, la distinction entre les activités du CREP et celles de l’équipe du C.A.F.É. est parfois difficile à faire. Participants et intervenants parlent de Sylvain Anderson de la même façon qu’ils peuvent parler de Francine Cyr ou de Samuel Chaloux.

En février, Shan Charbonneau a quitté son poste d’animatrice/formatrice. Samuel Chaloux, lui, quittera son poste au début mai. Ainsi, de mai à juin, Francine Cyr et Shannon Willett seront les seules intervenantes à se partager les tâches et dossiers d’animation et de formation qui incombent aux membres de l’équipe.

Depuis le départ de Shan Charbonneau, les activités de formation et d’animation sont effectuées par les personnes suivantes:

Francine Cyr

Shannon Willett

Samuel Chaloux

Sylvain Anderson

Travaillant ensemble depuis septembre, ces quatre personnes ont créé une véritable «équipe d’intervention». La dynamique de groupe qui s’est instituée à travers cette équipe a fait l’objet de nombreuses notes au cours de la procédure d’observation- participante. D’un point de vue extérieur, il s’agit d’une équipe soudée et dédiée, au sein de laquelle les différences de statut semblent souvent peu importantes.

Selon participants et intervenants, le C.A.F.É. est constamment en sous-effectif. Le nombre d’heures de travail accordées aux intervenants dans le cadre de ce projet pilote semble, pour plusieurs, être insuffisant. Le manque d’effectif, s’il est réel, peut avoir été causé par le fait que ce projet pilote a été conçu sans l’avantage d’une expérience préalable de la formation informatique d’une clientèle mixte comprenant des personnes avec DI. Au moment où ce projet pilote a été planifié, il était difficile de prévoir quels effectifs seraient nécessaires pour effectuer l’ensemble des tâches qui lui incombent. Par exemple, il était impossible de prédire de façon quelque peu réaliste le ratio «participants/ intervenant». Selon divers commentaires de membres de l’équipe d’intervention, il apparaît évident que ce ratio est bien plus bas que celui qui a été utilisé pour déterminer le nombre d’heures de travail pour chacun. En d’autres termes, ce projet pilote tend à démontrer que plus d’intervenants sont nécessaires pour le nombre de participants présents au C.A.F.É. lors de périodes de fort achalandage.

Puisque le C.A.F.É. a été conçu pour accueillir en permanence un assez grand nombre de participants à la fois, l’achalandage agit comme un critère important. Pourtant, le défi de la mixité (personnes avec ou sans DI, lecteurs ou non-lecteurs…) demande une gestion sensible et sensée, surtout dans le cadre d’un projet pilote. Par exemple, la capacité d’accueil du C.A.F.É. pourrait être réévaluée, eu égard au temps nécessaire à l’exécution de diverses tâches. Après tout, une approche purement tayloriste serait peu appropriée à une clientèle visant l’intégration sociale. D’ailleurs, même un modèle orienté vers la maximisation à tout prix de la productivité se heurterait à la capacité d’accueil d’un tel lieu qui, malgré la bonne volonté de toutes les parties prenantes, demeure limitée.

De mai à juin, l’équipe d’intervention sera réduite à trois personnes, dont deux seulement s’occuperont des dossiers des participants de Compagnons (la troisième personne s’occupant des dossiers du CREP). En vue de cette réduction d’un effectif déjà perçu comme insuffisant, l’équipe d’intervention a affiné la classification des participants selon le degré d’assistance qu’ils requièrent. Il serait donc utile de procéder à analyse plus fine du ratio «participants/intervenant» au cours de cette période.

Il est donc possible que certaines difficultés éprouvées par l’équipe d’intervention soient liées à un nombre insuffisant d’intervenant sur place, surtout lors de périodes de fort achalandage. Par ailleurs, la notion que le C.A.F.É. soit en sous-effectif peut en partie être imputée à la gestion des rôles.

Stimulés par un réel désir d’aider la clientèle, les intervenants travaillent d’arrache-pied, sautant certaines de leurs pauses, effectuant des tâches pendant leur heures de repas ou demeurant au C.A.F.É. après leurs heures de service. Pourtant, certaines tâches semblent ne pas s’accomplir avec suffisamment de célérité. En d’autres termes, l’empressement et le zèle des employés du C.A.F.É. ne suffit pas à remplir les besoins de la clientèle. Tel que le mentionnait un membre de l’équipe d’intervention, plusieurs personnes sont sur une liste d’attente en tant que participants potentiels. Qui plus est, la qualité de la démarche d’intervention peut être affectée par une approche par trop quantitative.

Chacun des membres de l’équipe d’intervention joue plusieurs rôles, au C.A.F.É. de Compagnons. Certains de ces rôles ont été formalisés, comme celui d’effectuer les inscriptions de nouveaux participants. Compte tenu du degré de sollicitation des intervenants, la personne qui s’occupe des inscription doit souvent répondre à d’autres demandes. En résulte un conflit de rôle qui va au-delà de la gestion des tâches. En effet, la difficulté de concilier le rôle de «réceptionniste» à ceux liés à l’intervention auprès des participants affecte la dynamique du groupe. Tentant de protéger les participants des effets de ce conflit de rôle, les intervenants créent une frontière entre leurs rôles. Bien que perceptible, cette frontière n’est pas foncièrement visible par tous et certains participants peuvent avoir de la difficulté à faire la part des choses entre ces différents rôles joués par les intervenants.

Après tout, l’intervention auprès des participants nécessite une grande capacité d’attention et de patience. Bien qu’il soit théoriquement possible pour les intervenants d’effectuer diverses tâches en parallèle, les participants demandent une assistance en mode «monotâche».

Un problème similaire a rendu difficile une partie de la procédure de recherche. Suivant l’exemple des laboratoires vivants, décrits plus haut, le volet recherche du projet C.A.F.É. internet faisait appel aux capacités d’observation des intervenants. Après avoir participé à une formation sur une méthode d’observation de type ethnographique, il était convenu que les intervenants procéderait à diverses observations, suivies par le chercheur. De telles attentes se sont révélées peu réalistes. Non seulement est-il difficile de gérer des tâches d’observation en même temps que celles liées à l’intervention, mais le rôle d’observateur requiert un recul qui est rarement donné aux intervenants. Suite à une prise de conscience de ces enjeux, il fut décidé de rendre la procédure d’observation plus souple, basée sur un dialogue ouvert entre le chercheur et les intervenants. Ici comme précédemment, un conflit de rôle peut s’immiscer entre la présence auprès de la clientèle et le faisceau de rôles assignés à chaque intervenant.

Les membres de l’équipe d’intervention occupent donc divers rôles formels qui peuvent entrer en conflit les uns avec les autres. D’autres rôles, beaucoup plus informels, ont aussi une grande importance au C.A.F.É. de Compagnons.

L’importance de l’humour dans l’«ambiance» du C.A.F.É. fournit un exemple particulièrement frappant de la construction des rôles informels. Si l’humour n’a jamais été mentionné en contexte formel, son impact sur les tâches d’animation du lieu et de formation des participants n’en est pas pour le moins négligeable.

Participants et intervenants ont souvent décrit le C.A.F.É. par son «ambiance». Il s’agit donc d’une «catégorie émique», fonctionnelle dans le contexte où elle est utilisée.
Cette «ambiance» joue un rôle prépondérant dans le bon fonctionnement du C.A.F.É. de Compagnons et, tout comme pour un restaurant, un bar, voire un «café Internet», peut avoir un impact direct sur la fréquentation du lieu. Il n’est donc pas nécessaire de justifier cette notion d’«ambiance» dans le contexte d’un lieu associé pour le public à un café Internet. Toutefois, cette notion d’«ambiance», est difficile à traduire en une «catégorie étique» et peu compréhensible pour des personnes extérieures au contexte.

Tant comme milieu de travail que comme milieu d’apprentissage, le C.A.F.É. est généralement décrit de façon positive, par les intervenants et les participants. L’ambiance y est conviviale et un membre de l’équipe d’intervention parlait de «camaraderie». Il s’agit aussi d’une ambiance stimulante, qui pousse les participants à demeurer actifs. Le ton humoristique utilisé entre intervenants et participants est pour beaucoup dans cette ambiance.

Un espace d’entraide et de collaboration

Au cours de la période d’observation, un esprit général de solidarité s’est rapidement propagé à travers l’ensemble du C.A.F.É. de Compagnons. Aucune notion de compétition n’a été notée en contexte d’observation et, à l’inverse, les exemples de collaboration se sont multipliés.

Dans un espace conçu pour la relation d’aide, l’émergence d’un tel esprit n’a rien de surprenant. Dans un espace d’apprentissage et de formation, par contre, la collaboration généralisée peut se faire beaucoup plus rare, surtout lorsque des évaluations sont utilisées pour comparer ou classifier les apprenants.

Par ailleurs, le mode collaboratif est particulièrement approprié à un laboratoire vivant, surtout si celui-ci a pour mission de favoriser l’inclusion sociale. En effet, le modèle du laboratoire vivant se base sur un principe d’innovation ouverte, de participation démocratique et de bien commun. Certains laboratoires vivants prohibent même les projets individuels, se concentrant exclusivement sur des projets communs. Si les résultats du processus d’innovation ouverte peut permettre la compétition, ce processus- même est basé sur l’échange. D’ailleurs, le modèle du laboratoire vivant favorise l’«égalité des conditions de concurrence» (“level playing field”). Par exemple, une innovation technologique provenant d’un laboratoire vivant peut permettre l’émergence de nouvelles entreprises. D’un point de vue social, un moteur de changement social peut se diffuser rapidement lorsqu’il est partagé librement (et qu’il peut être adapté à divers contextes).

Dans un projet pilote lié à l’inclusion sociale, le partage est un mode bénéfique pour tout le monde et la participation sociale est un «jeu de somme non nulle».

Des comportements de partage désintéressé sont aisément observables parmi les personnes avec DI. Sans être en mesure de deviner les intentions des autres, il est facile de noter l’absence de dessein dans plusieurs gestes posés à répétition à l’intérieur d’un groupe. Par exemple, en observation de la danse de Compagnons, le fait de prêter assistance à autrui ou de donner sans attente de retour constituait un mode habituel d’interaction, de la part de plusieurs participants. Il est bien entendu impossible de généraliser à l’ensemble des personnes avec DI, mais cette soirée de danse met en présence une grande diversité de participants et de tels comportements sont, pour le moins, tenus comme habituels.

Considérant l’importance que ce mode de partage peut avoir dans le milieu de la DI, il n’est pas surprenant qu’une tendance au partage soit observable au C.A.F.É. de Compagnons. Dans cet espace, les ressources disponibles (matérielles ou humaines) ne forment pas un contexte de compétition pour les participants. Entre autres, l’attention qui leur est prêtée est conçue comme équitable, n’évoquant aucune notion de compétition pour l’attention des intervenants.

Les intervenants eux-mêmes font montre d’un sens aigu du partage. Leur travail d’équipe s’effectue dans un mode collaboratif, transparent et ouvert. Les découvertes des uns sont dévoilées aux autres et le bien commun y est central. D’ailleurs, dès les premières notes d’observation, cette tendance au partage et à l’échange s‘est présenté comme thème fondamental.

L’échange d’information entre les intervenants a des effets importants sur le développement du C.A.F.É. internet. Compte tenu du mode expérimental, décrit plus haut, des outils ou procédés innovants sont rapidement mis en pratique par divers membres de l’équipe d’intervention. Il peut s’agir d’une souris adaptée, dont plusieurs participants font l’expérience. Ou un site Web spécialisé, qui semble être utile pour plusieurs. Il n’est pas rare pour des intervenants de discuter de façon décontractée d’un site, d’un outil ou d’une technique qui pourrait bénéficier aux autres.

En ce sens, le C.A.F.É. présente une expérience unique qui touche entre autres à la présence de plusieurs intervenants aux mêmes moments. Bien qu’il soit possible de partager des suggestions précises de façon asynchrone, en comité ou par courriel, le fait de pouvoir échange de façon informelle pendant les heures de travail entre dans une logique d’échanges constants, libres et peu planifiés.

La collaboration Compagnons de Montréal et le CREP entre dans une telle logique, au sein du C.A.F.É. internet. Le rapport entre Sylvain Anderson du CREP et les intervenants associés à Compagnons marque un respect mutuel et un désir d’échanger sans égard aux différences de statut. À ce sujet, des intervenants ont décrit ce rapport par sa symétrie. Au sein de l’équipe d’intervention, la mise en commun des ressources se fait au-delà des affiliations organisationnelles.

Un espace ouvert et flexible

Bien que le C.A.F.É. soit ici décrit comme un lieu stable, situé dans l’espace, il est à la fois modifiable et ouvert vers l’extérieur. D’ailleurs, comme l’expliquait un membre de l’équipe de soutien, certains des exemples les plus intéressants de l’inclusion sociale se produisent à l’extérieur du C.A.F.É., sur le terrain de Compagnons de Montréal ou ailleurs dans la communauté. Par contre, la démarche d’observation s’est déroulée presqu’exclusivement dans le local du C.A.F.É. de Compagnons.

Dès le départ, il était prévu que le C.A.F.É. offrirait une connexion sans-fil gratuite aux participants. Il était prévisible que des participants munis d’ordinateurs portatifs soient incités à utiliser les services du C.A.F.É. en accès libre sans faire usage de postes informatiques.

Une partie de l’espace à été aménagée pour accueillir de tels participants. Une grande table et quelques chaises, situés entre les machines distributrice et la machine à café, en retrait des postes informatiques, constituent une sorte de hall ou de salon. Au début du processus d’observation, cet espace a tout d’abord servi de zone d’attente pour les participants qui arrivaient avant l’heure prévu pour leur formation ou comme salle à manger pour ceux qui ont apporté leurs collations (les machines distributrices et la machine à café sont peu utilisées). Si un ordinateur portatif était utilisé à l’occasion, cette zone n’a pas été tout de suite adoptée par une clientèle distincte utilisant cette zone en accès libre.

Un phénomène quelque peu inattendu est survenu. Quelques participants associés à Compagnons de Montréal se sont procurés leurs propres ordinateurs portatifs. S’agissant de personnes en processus de formation avec des intervenants, la zone initialement prévue pour accueillir des participants en accès libre se transforme, à l’occasion, en une extension de l’espace de formation.

L’ajout de cette zone de formation implique une modification subtile du travail des intervenants. Sans accroître le nombre de postes informatiques, la capacité d’accueil du C.A.F.É. fut augmentée de quatre «postes virtuels». Il serait donc possible, avec un effectif augmenté, d’accueillir plus de participants qu’il n’était originellement prévu.

Le passage à d’un poste informatique à un ordinateur portatif offre des avantages importants, pour les participants. Bien entendu, le fait pour des participants de disposer de leurs propres ordinateurs implique un accès presque constant à la technologie, ce qui améliore grandement les possibilités de mettre en pratique des apprentissages. C’est souvent cet argument qui est utilisé pour justifier des programmes d’achat de matériel informatique pour des apprenants à divers niveaux, du primaire à l’université. Puisque de tels programmes sont conçus pour encourager les apprenants à utiliser des ordinateurs tant à la maison qu’en salle de classe, le choix l’ordinateur portatif semble tout désigné pour ce genre d’utilisation.

Un autre avantage de la possession d’un ordinateur portatif est lié plus directement au type de formation donnée au C.A.F.É. de Compagnons. En effet, plusieurs participants disposaient déjà de leurs propres ordinateurs de bureau, qu’ils utilisaient à domicile. Un problème fréquent, dans une telle situation est l’écart entre l’ordinateur de bureau utilisé à la maison et le poste informatique servant à l’apprentissage. Bien que les postes informatiques du C.A.F.É. soient configurés pour être aussi près du standard que possible, des différences de versions logicielles sont inévitables. Si ces différences peuvent causer une certaine confusion chez des utilisateurs expérimentés de l’informatique, elles peuvent causer une forme d’angoisse parmi les débutants, surtout chez des personnes avec DI. Il est d’ailleurs difficile pour des intervenants de tenir compte de toutes les différences de versions logicielles. Puisque des participants peuvent éprouver de la difficulté à indiquer les versions des logiciels qu’ils utilisent, une partie du travail de l’intervenant consiste en un jeu de devinette.

Dans un tel contexte, l’utilisation de la même configuration informatique en tout temps est donc d’une grande utilité. Le développement du marché informatique tend à favoriser le passage de l’ordinateur de bureau, utilisé comme «poste de travail» fixe, à un mode de plus en plus mobile. Sans se situer à l’avant-garde du marché informatique, les ordinateurs portatifs achetés par ces participants du C.A.F.É. suivent une partie du passage au mode mobile. Il y a quelques années, l’ordinateur portatif était souvent associé aux étudiants et autres «utilisateurs nomades» (“road warriors”). Suite à divers changements technologiques, les ordinateurs portatifs ne sont plus, désormais, l’apanage exclusif d’une catégorie restreinte d’utilisateurs. Les ordinateurs «miniportatifs» (“netbooks”) ont d’ailleurs contribué à ce développement, au cours des dernières années.

Toutefois, la tendance à une informatique de plus en plus mobile se poursuit et le marché effectue aujourd’hui un passage vers les téléphones intelligents et les ardoises électroniques (“tablet computers”). En contexte d’observation au C.A.F.É., aucune mention n‘a été faite de l’un ou l’autre de ces dispositifs et une ardoise électronique posée sur un clavier a été méprise pour un ordinateur portatif. Ces outils informatiques ne semblent donc pas être pris en compte par la clientèle du C.A.F.É. de Compagnons et aucun désir de prendre une longueur d’avance sur la technologie n’a été manifesté. Après tout, les besoins attestés de cette clientèle ne nécessitent pas une technologie très sophistiquée, selon les normes du marché informatique actuel. Les ordinateurs portatifs achetés par quelques participants procurent à ceux-ci une certaine fierté, perceptible dans leur façon de présenter leurs nouveaux outils. Mais cette fierté n’a que peu de rapport au sentiment d’être à l’avant-garde et c’est l’informatique dans son ensemble qui évoque un sentiment de nouveauté.

La clientèle du C.A.F.É. ne semble donc pas éprouver le besoin de se procurer des «gadgets» informatiques. Évidemment, le coût du matériel constitue un frein considérable pour des personnes à revenus très modestes. Mais, alors que certains participants peuvent admirer des automobiles ou d’autres objets de consommation qui sont clairement hors de leur portée, le matériel informatique n’a été mentionné en contexte d’observation qu’en lien aux ordinateurs portatifs achetés par quelques participants.

D’une façon générale, la clientèle du C.A.F.É. fait montre d’une approche pragmatique de la technologie informatique. Outre la pression sociale qui pousse plusieurs participants à s’initier à l’informatique, c’est l’utilité pratique de l’ordinateur qui fait son attrait.

Alors que chez d’autres groupes (milieux scolaire et universitaire, par exemple), des éléments de la technologie informatique sont devenus des symbole de statut social, les technologies de l’information et des communications revêtent généralement un caractère purement utilitaire au C.A.F.É. de Compagnons.

Un axe de recherche sur l’autonomie et la dépendance se révèle ici très utile. Une dimension importante des missions de plusieurs services et programmes à Compagnons de Montréal est de favoriser l’autonomie personnelle de personnes avec DI. Cette notion d’autonomie est multidimensionnelle et une même personne peut être très autonome dans un domaine d’activité tout en étant très dépendante des autres dans d’autres domaines. Par exemple, une personne qui peut s’habiller elle-même n’est pas nécessairement en mesure de manger sans assistance. Ainsi, l’autonomie absolue semble illusoire pour une clientèle manifestant des limitations cognitives.

Dans la société québécoise en général, le degré d’autonomie est conçu de façon linéaire, en tant que composante fondamentale du développement personnel de tout individu. L’autonomie absolue est parfois considérée comme un idéal atteignable ou, du moins, comme une notion compatible avec le fonctionnement social normal. Le mode «je fais tout moi-même» est privilégié et une «personne dépendante» est considérée comme sortant de la normalité.

Dans un cas comme dans l’autre, l’autonomie personnelle est généralement liée à autrui, non à des outils. Une personne peut être considérée comme complètement autonome même si elle dépend de divers outils pour accomplir diverses tâches (du simple crayon à l’automobile) ou même pour survivre (stimulateur cardiaque). À l’inverse, une personne qui nécessite l’assistance d’une autre personne pour se vêtir ou se déplacer est rarement considérée comme autonome même si elle n’a que très peu besoin d’outils. Cette notion de dépendance est celle associée à la psychologie du développement.

La notion de «cyberdépendance» offre ici un contraste intéressant, permettant de situer certains aspects de la culture numérique. Internet est alors comparé à un besoin compulsif, comme s’il s’agissait d’un psychotrope ou d’une substance causant un «attachement maladif». Ce type de dépendance est considéré comme pathologique mais n’a que peu de lien à la notion d‘autonomie. La notion de cyberdépendance a une pertinence accrue lorsqu’elle est associée au café internet comme moyen d’accéder au réseau. Si Internet peut causer une dépendance, un café internet revêt alors un caractère particulier comme un danger pour une certaine catégorie de personnes. Comme le bar peut l’être pour un alcoolique, le café internet peut être un élément facilitateur pour une personne en cyberdépendance. Compte tenu du règlement et du rôle joué par l’équipe d’intervention, un tel risque est absent du C.A.F.É. internet de Compagnons. Mais le rapport à la technologie sous-tendu par cette notion permet de dévoiler un aspect intéressant de la culture numérique des participants.

Pour les participants du C.A.F.É., l’informatique ne constitue pas un besoin. Elle peut être d’une grande utilité, mais elle n’est pas une nécessité. Ayant vécu une partie importante de leurs vies sans utiliser d’ordinateurs, ces participants perçoivent l’outil informatique comme une façon d’améliorer certains aspects du quotidien. Il est fréquent pour de nouveaux initiés à l’informatique d’entretenir avec la technologie un rapport aussi pragmatique. Dans le cas de personnes avec DI, cette attitude aide à mettre en contexte l’enjeu de l’autonomie.

Le modèle-type est celui d’une personne utilisant, sans assistance, un ordinateur pour effectuer des tâches pour lesquelles elle requérait l’aide d’une seconde personne. Par exemple, une personne établissant un itinéraire à suivre en transport en commun au lieu de demander l’aide d’une seconde personne augmente son autonomie personnelle. Une tâche d’apparence aussi simple est en fait suffisamment complexe à réaliser qu’elle a fait l’objet, en contexte d’observation, d’une mention spéciale. Il est peu probable qu’elle soit un jour généralisée à l’ensemble des participants. Mais elle démontre, de façon frappante, le pouvoir d’autonomisation de la technologie. De multiples exemples se sont présentés en contexte d’observation et l’accent fut mis, au cours du projet, au fait pour les participants de ne requérir qu’aussi peu d’assistance que possible.

Il est à noter que le fait de «remplacer l’être humain par la machine» ne semble pas constituer un problème d’ordre moral ou social pour les participants avec DI. Ces personnes sont si souvent en situation de demande d’assistance que le fait d’en nécessiter moins peut difficilement être conçu comme un problème. Par contre, un problème pratique survient lorsque l’assistance humaine est remplacée par une technologie qu’une limitation cognitive rend inutilisable. En d’autres termes, il s’agit ici d’une incapacité pratique et non de la frustration de ne pas pouvoir parler à «une vraie personne».

Il est difficile de connaître avec précision comment des personnes avec DI conçoivent l’ordinateur. Certaines pistes de réponse se trouvent tout de même dans le comportement des participants. Par exemple, l’ordinateur n’a pas fait l’objet d’anthropomorphisme, en contexte d’observation. Dans la population en général, il est relativement usuel d’assigner des intentions à l’ordinateur ou d’accuser la technologie d’avoir causé un problème.

L’observation de participants avec DI est surtout frappante par le degré d’autoévaluation négative, particulièrement dans le cas de participants dont les limitations cognitives sont peu prononcées. Au lieu d’accuser l’informatique, ces personnes démontrent une tendance à s’approprier le blâme de difficultés éprouvées. Cette tendance à l’autocritique n’a rien de surprenant, pour une clientèle aux prises avec un monde souvent peu lisible. Ce que cette attitude semble signifier, dans le rapport à la technologie informatique, est que celle-ci est en continuité avec d’autres dimensions technologiques. La frustration ressentie par des utilisateurs sans DI suite à des problèmes informatiques est souvent d’un autre ordre. Si l’ordinateur fonctionne normalement, il devrait donner les résultats qu’on en attend.

Un espace innovant et novateur

L’innovation ouverte est au cœur de l’approche préconisée par les laboratoires vivants. De multiples circonstances ont fait du C.A.F.É. un contexte privilégié pour l’innovation, tant technique que sociale. Certains de ces exemples ont été décrits plus haut, mais ils méritent néanmoins une attention particulière. Il s’agit de développements qui peuvent être signifiants à plus large échelle.

Tel que le notait un membre de l’équipe de soutien, l’existence même du C.A.F.É. internet de Compagnons de Montréal représente une grande nouveauté. Peu de projets concrets, réalisés au Québec ou ailleurs, ont associé l’informatique à la DI. Qui plus est, le pari de la mixité n’était pas gagné d’avance, l’expérience étant rarement tentée. Pour cette raison, l’expérience du C.A.F.É. a déjà stimulé les esprits puisque, comme l’expliquait le chef de projet, d’autres centres désirent se baser sur le modèle du C.A.F.É. pour concevoir des services du même type.

Dans le cadre des activités des participants, les exemples de réussite sont nombreux, voire quotidiens. La valeur de plusieurs de ces exemples peut être difficile à évaluer de façon externe et ils peuvent sembler demeurer au niveau anecdotique. En contexte, ces réussites contribuent grandement à la perception du C.A.F.É. comme zone d’innovation.

Lorsqu’un participant avec des limitations cognitives, visuelles et motrices est en mesure d’envoyer un message électronique à sa famille ou de construire un diaporama de voyage sans savoir écrire, la réussite individuelle ne prend son plein sens qu’en contexte. Selon plusieurs membres des équipes d’intervention et de soutien, de telles réussites personnelles sont légion, au C.A.F.É. de Compagnons.

Il serait irréaliste de s’attendre à ce que de tels participants puissent développer, seuls, des nouvelles pratiques ou technologies. Mais l’accompagnement qui a permis ces réussites personnelles représente, en soi, une innovation. Si cette innovation n’est pas immédiatement transférable hors du domaine de la DI, elle constitue un pas vers une participation citoyenne accrue par des personnes laissées-pour-compte.

Plusieurs phénomènes innovants dépassent le niveau individuel en constituant des réalisations de groupe. C’est dans cette catégorie que les navigations dirigées mentionnées plus haut peuvent être placées. Réalisées en collaboration avec des intervenants par des participants avec DI pour d’autres participants avec DI, ces navigations dirigées sont une figure emblématique parmi d’autres du succès de la dynamique de groupe. En contexte d’observation, bien d’autres projets collaboratifs ont été entrepris. Pris dans leur ensemble, ces projets forment la base de la démarche d’autonomisation par l’entremise de la technologie entreprise par les parties prenantes du C.A.F.É. de Compagnons.

Un exemple notoire concerne des activités réalisées en fonction d’une visite au Biodôme de Montréal. En contexte d’observation, des participants ont utilisé divers moyens technologiques pour produire des itinéraires à suivre pour se rendre sur place, des navigations dirigées au sujet du musée et des présentations au sujets d’animaux vivants dans diverses zones climatiques. Ces réalisations acquièrent une grande partie de leur valeur dans le fait qu’elles mettent en œuvre les aptitudes, aussi limitées soient-elles, de plusieurs participants.

Le projet des «casse-têtes des participants» représente un exemple frappant d’innovation d’usage.

Le site JigZone contient une vaste galerie de casse-têtes classés par thèmes. Ces casse- têtes peuvent être personnalisés aux besoins de chacun, par exemple par le nombre de pièces qu’ils contiennent. En contexte d’observation, l’adaptation du nombre de pièces d’un casse-tête aux capacités cognitives d’un participant a souvent fait partie de la démarche d’intervention. Une telle adaptation serait malaisée avec un casse-tête matériel. L’adaptation instantanée d’un casse-tête en-ligne est donc une innovation par rapport

à l’utilisation de casse-têtes matériels. L’innovation d’usage consiste entre autres en l’utilisation d’un site de divertissement à des besoins d’intervention et d’apprentissage individualisé. Le site JigZone n’est pas un «site adapté» aux besoins de la clientèle du C.A.F.É. et les personnes avec DI ne lui fournissent pas un marché-cible. Pourtant, ce site a semblé tout désigné pour répondre aux besoins des participants.

Il est possible pour un utilisateur de ce site de créer de nouveaux casse-têtes en ajoutant de nouvelles images. Les images formant un élément important de l’intérêt de plusieurs personnes avec DI, qu’elles soient alphabétisées ou non, l’utilisation d’un tel procédé répond aux besoins des participants.

En collaboration avec l’équipe d’intervention, des participants ont pu construire leurs propres casse-têtes, utilisant des images de leur choix. Le site devient donc personnalisé et ces images sont partagées entre participants d’une façon particulière. Il s’agit donc d’une «utilisation imprévue» de la technologie.

Qui plus est, certaines de ces images proviennent du projet artistique «Écoute mon portrait», réalisé avant l’ouverture du C.A.F.É. internet. Ce projet consistait en une exposition photographique accompagnée de reportages sonores et audiovisuels. Les photographies créées pour cette exposition furent le fruit de la collaboration d’une équipe de 32 personnes, y compris 16 participants avec DI, Ces images, réalisées par des participants, sont iconiques dans le contexte de Compagnons de Montréal. Leur utilisation pour la création de casse-têtes représente une mise en valeur d’un type inattendu. Si un casse-tête peut n’avoir qu’un intérêt passager pour une personne n’ayant pas de DI, il devient d’autant plus signifiant pour une personnes avec DI qu’il permet de reconstruire une image qui contribue à ce qu’un membre de l’équipe de soutien a décrit comme la «déstigmatisation» de la DI.

Les activités du C.A.F.É. se déroulant en parallèle avec plusieurs autres activités de Compagnons de Montréal, le projet des «casse-têtes des participants» revêt donc un caractère particulier puisqu’il lie de façon unique et appropriée des activités distinctes. Il s’agit aussi d’une collaboration entre intervenants et participants, centrée sur les besoins de ces derniers.

Le cas du site JigZone est loin d’être unique comme innovation d’usage dans les activités du C.A.F.É. de Compagnons. L’usage inattendu d’un site constitue même un mode d’opération privilégié au sein de l’équipe d’intervention. Le partage de ces sites est un type particulier de collaboration qui, s’il peut ne pas surprendre, a des effets sur le travail des intervenants. Comme ces sites ne sont pas a priori désignés comme étant appropriés pour les personnes avec DI, le fait de les répertorier est une tâche non-négligeable. Ceci est d’autant plus vrai que, pour être réellement utiles aux participants, ces sites doivent avoir un contenu en lien avec leur expérience. Comme la plupart des participants sont des Québécois francophones, ces sites doivent souvent être en français et contenir des éléments propres au contexte québécois.

C’est le cas du portail Web2Discover qui, malgré son nom, regroupe surtout des sites francophones liés au Québec. Créé par Jean Boissonneault, webmestre à l’École de technologie supérieure (ÉTS), ce portail présente de façon visuelle un ensemble de sites pertinents aux internautes de Montréal et de Québec. Ces sites sont catégorisés par thèmes («médias/actualité», «loisirs/culture», «transport/tourisme»…) et représentés par des icônes. Représentant visuellement un grand nombre de sites locaux, un tel portail est particulièrement utile pour des non-lecteurs même s’il n’a clairement pas été conçu pour cette clientèle.

Parmi les usages innovants de ce portail, un exercice conçu par l’enseignant du CREP semble particulièrement approprié. Il s’agit de permettre aux participants de visiter chacun des sites répertoriés et d’en faire une évaluation personnelle binaire, chaque site apprécié par le participant portant la mention «oui». Cette méthode permet de cibler certains des intérêts des participants, une procédure parfois laborieuse. Par la suite, divers exercices peuvent être réalisés en fonction de ces sites, la capacité d’identification graphique étant fortement développées chez plusieurs participants non-lecteurs. La création du portail Web2Discover a surtout nécessité un travail administratif (répertorier les sites, traiter les icônes, etc.). Son intégration au travail d’intervention représente une innovation d’usage.

Le portail La commode («Les tiroirs aux infos pas mal commodes») constitue un cas particulier. Étant dédié à une clientèle «en situation de vulnérabilité», il semble tout désigné à une clientèle avec DI. Pourtant, l’utilisation de ce portail requiert une compréhension de concepts assez complexes, puisque l’organisation de ces formulaires suis des thèmes comme «droits», «cartes et papiers» et «trouvailles». De plus, la DI ne figure pas explicitement parmi les clientèles ciblées:

Aînés
Jeunes
Sans-abri
Parents
Nouvel arrivant
Sans emploi
Pour tous
Organismes reconnus
Justice
ITSS
Santé
Toxicomanie


Bien que certains critères de vulnérabilité décrivant des personnes avec DI puissent être liés à plusieurs de ces catégories, la déficience intellectuelle n’est pas représentée ici. Pourtant, un portail regroupant des liens à des sites et formulaires pertinents pour des personnes avec DI aurait été grandement utile.

Les intervenants du C.A.F.É. de Compagnons ont donc procédé a la création de leur propre portail de services gouvernementaux. Ce travail fut effectué en fonction des besoins particuliers de la clientèle avec DI, y compris une attention particulière au langage simplifié. À l’opposé d’une innovation d’usage, il s‘agit donc d’un projet innovant visant à remplir un ensemble spécifique de besoins qui ne sont pas rencontrés ailleurs.

L’utilisation, décrite plus haut, d’une banque d’images afin de faciliter la recherche de vidéos par l’entremise du moteur de recherche d’images de Google constitue aussi un usage innovant. Il est facile d’imaginer une innovation technologique basée sur le développement, à moyen terme, d’outils purement visuels permettant à des non-lecteurs de trouver les vidéos qui les intéressent et de naviguer directement vers eux à partir de n’importe quel ordinateur. Un tel projet pourrait constituer une collaboration entre participants, intervenants et développeurs.

L’achat d’ordinateurs portatifs par des participants représente une initiative inattendue.

Répondant à des besoins spécifiques, cette initiative démontre de façon simple le pouvoir d’autonomisation de la technologie autant que celui de la flexibilité du lieu. Il aurait sans doute été impossible de procurer des ordinateurs portatifs aux participants qui en manifestaient le désir et il aurait été impensable d’exiger des participants du C.A.F.É. de Compagnons la possession de leur propre équipement informatique. Pourtant, avec quelques adaptations simples comme l’ajout de plages horaires aux système de réservation de postes, cette initiative a rapidement été intégrée aux activités normales du C.A.F.É. internet.

L’équipe d’intervention a fait preuve d’innovation en créant et affinant un modèle de «notes évolutives» visant à suivre le développement des activités de formation avec chaque participant. Ces notes constituent non seulement un part importante du dossier de chaque participant, mais elles constituent une ressource inestimable, documentant des processus d’apprentissage qu’il aurait été difficile d’observer ailleurs.

Si ces notes contiennent divers objectifs d’apprentissage, la réalisation de ces objectifs suit des chronologies variables en fonction de plusieurs facteurs. Tout d’abord, les capacités d’apprentissage de chaque participant rendent difficile une planification temporelle très précise. Certains participants progressent très lentement, nécessitant une répétition régulière, sur une période de temps relativement longue. Comme l’ont noté des membres de l’équipe d’intervention, l’apprentissage passe souvent par des périodes de plateau.

Le nombre de séances de formation auxquelles chaque participant peut se prêter varie en fonction de son horaire et de sa disponibilité intellectuelle. Au cours de séances de formation, la distraction ou un désintérêt marqué pour certaines tâches peuvent ralentir le processus d’apprentissage et, en contexte d’observation, ont souvent nécessité un changement d’approche. Ce processus d’adaptation s’effectue de façon souple et efficace, mais il demande un certain temps.

En parallèle avec les notions d’adaptation adéquate véhiculées dans le cadre du volet recherche de ce projet pilote, les membres de l’équipe d’intervention ont rapidement développé une vision particulière de l’adaptation technologique. Cette vision permet de mieux comprendre le caractère innovant de leur approche d‘intervention et ce plus particulièrement en ce qui concerne l’innovation technique.

Au C.A.F.É. de Compagnons, les moyens technologiques utilisés par les participants doivent correspondre le plus fidèlement possible aux moyens disponibles pour les membres de la population générale. En d’autres termes, si certaines «technologies adaptées» sont adoptées à l’occasion, elles ne causent pas un «effet béquille» qui empêcherait les participants d’utiliser d’autres outils. Ainsi, l’usage d’un outil adapté se fait dans un contexte précis et limité. Par exemple, un logiciel spécialisé peut être utilisée par un participant au cours d’une formation mais, au terme de cette formation, ce participant devrait pouvoir se départir de ce logiciel spécialisé et utiliser un logiciel plus communément présent sur d’autres ordinateurs.

Ce principe est si fort qu’il influe un grand nombre de décision, du choix d’un navigateur à l’usage d’un service de courriel particulier. Plusieurs de ces décisions représentent des innovations d’usage puisque des outils communs sont souvent utilisés hors de leur fonction première.

Dispositifs de pointage

Dans le cadre du C.A.F.É. de Compagnons, les dispositifs de pointage représentent un important domaine d’innovation technique. En effet, aucun dispositif de pointage ne semble convenir à l’ensemble de la clientèle dans l’ensemble de leurs usages. C’est ce contexte qui a été mentionné le plus souvent par les membres de l’équipe d’intervention lors de discussion d’innovation dans le cadre du projet.

Les dispositifs suivants ont été utilisés:

Souris «régulière»
Souris adaptée, à boule de commande
Écran tactile
Tableau interactif
Tablette


Lors de portions d’entrevues portant sur l’innovation, les intervenants du C.A.F.É. ont fait part de leurs commentaires au sujet des inconvénients de chacun de ces dispositifs. La plupart de ces inconvénients ont trait aux limitations motrices ou cognitives des participants.

Ainsi, le temps de réaction de l’écran tactile rend son utilisation malaisée pour des participants ayant des difficultés liées à la motricité fine, les clics étant mal interprétés par l’écran. Selon les propos des intervenants, l’écran tactile est généralement inutilisable.

La manipulation d’une souris pose problème à ceux dont les limitations cognitives rendent difficiles le passage du plan horizontal au plan vertical. Dans le cas d’une souris régulière, des problèmes de motricité ou de cognition peuvent être à la source d’un mouvement simultané au clic, causant une mauvaise interprétation du clic. En théorie, la boule de commande de la souris adaptée permet de séparer le clic du mouvement. Pourtant, en contexte d’observation, un problème similaire à celui de la souris régulière est apparu lors de l’utilisation de la souris adaptée par certains participants.

En contexte d’observation, la tablette a fait l’objet d’une expérimentation réduite, surtout dans le contexte du CREP. Son principal problème, selon des intervenants du C.A.F.É., provient du profil et du positionnement des boutons, qui ne sont pas suffisamment distincts de la surface de la tablette. Cette surface n’étant pas délimitée par une bordure en relief, des gestes effectués par des participants dépassent souvent cette surface.

Contrairement aux autres dispositifs, les inconvénients du tableau interactif sont surtout liés à des critères pratiques sans lien aux limitations motrices et cognitives des participants. Utilisant un système de projection, ce tableau occupe un espace assez large en plus du poste auquel il est attaché. Aux dires de certains intervenants, il serait particulièrement approprié pour des navigations dirigées ou pour des séances d’enseignement magistral.

Malgré leurs inconvénients, tous ces dispositifs ont été utilisés à plusieurs reprises en contexte d’observation. À l’occasion, plus d’un dispositif est utilisé en parallèle par un seul participant. Selon un membre de l’équipe d’intervention, un participant a pu utiliser trois de ces dispositifs au même moment (souris adaptée, écran tactile et souris régulière), assignant à chacun d’entre eux un rôle particulier (retour en arrière dans un navigateur, par exemple). Une telle utilisation démontre surtout l’étendue du problème de pointage et ne peut constituer qu’une utilisation exceptionnelle. Ce participant a d’ailleurs été poussé à se départir de la souris adaptée pour concentrer son attention sur l’utilisation de la souris régulière.

Ce participant avait, à ce moment, tendance à occuper un poste informatique où se trouvait une souris adaptée. La préparation à la séance de formation impliquait alors le retrait de toute souris adaptée d’un poste disponible. Un tel processus constitue presque un «sevrage» et il dévoile une part de la logique de l’autonomie qui sous-tend plusieurs aspects de la démarche d’intervention.

Bien qu’elle n’ait pas été utilisée en contexte d’observation, la technologie à la base du téléphone intelligent et de l’ardoise électronique (“tablet computer”) a été mentionnée par un membre de l’équipe en comparaison avec l’écran tactile. Ce membre ayant l’expérience de l’utilisation d’un téléphone intelligent à «écran tactile multipoint» (“multitouch display”), son évaluation du type d’écran tactile associé aux postes informatiques du C.A.F.É. était en partie influencée par cette autre technologie.

L’écran tacile multipoint est une technologie particulière. Bien qu’elle puisse avoir certains des mêmes inconvénients que ceux identifiés pour les dispositifs de pointage, il serait sans doute utile de la tester avec des participants éprouvants des difficultés avec d’autres dispositifs. Tel que mentionné plus haut, l’ardoise électronique et le téléphone intelligent, tous deux basés sur l’écran tactile multipoint, semblent constituer une tendance lourde du marché informatique actuel. Le fait de tester cette technologie avec une clientèle non-initiée (avec ou sans DI) pourrait donc avoir un intérêt plus large. D’ailleurs, la présence de fonctions de reconnaissance et de synthèse vocales sur plusieurs de ces appareils peut, à terme, en faciliter l’usage par des personnes avec DI ou avec d’autres limitations.

Un tel test pose un problème particulier. Contrairement aux dispositifs de pointage utilisés en contexte d’observation, le téléphone intelligent et, à plus forte raison, l’ardoise électronique constituent des «ordinateurs à part entière», distincts des postes informatiques du C.A.F.É. de Compagnons. Ainsi, l’expérimentation avec un téléphone intelligent ou une ardoise demanderait probablement une adaptation considérable. Par ailleurs, le développement du système d’exploitation Windows suit présentement une trajectoire qui le rapproche de l’ardoise électronique. Il est donc possible que l’utilisation d’ardoises électroniques par des participants du C.A.F.É. soit facilitée par le passage, prévu pour la fin de l’année 2012, au système Windows 8.

Bien entendu, malgré le fait que leurs interfaces soient considérées comme intuitives par certains, les téléphones intelligents et les ardoises nécessitent un processus d’apprentissage. Toutefois, le C.A.F.É. constitue un contexte idéal pour ce type d’apprentissage et de formation. En effet, l’expérience de formation sur ordinateurs portatifs démontre la capacité d’adaptation de cet espace d’apprentissage. Par ailleurs, les leçons tirées de l’expérience de divers dispositifs de pointage forment une toile de fond pour l’évaluation de diverses méthodes de pointage. Enfin, une large curiosité représentant une des motivations premières de plusieurs participants non-initiés à l’informatique, l’utilisation d’une ardoise ou d’un téléphone intelligent peut constituer une base aussi valable d’initiation qu’un ordinateur de bureau. En d’autres termes, ces participants n’ayant souvent pas une idée très claire de ce que représente l’informatique et Internet, leur utilisation d’un appareil à écran tactile multipoint ne représente pas un frein majeur à leur initiation.

Une telle expérimentation peut se baser sur des expériences précédentes, réalisées dans divers contextes, surtout dans le cas de l’ardoise. Par sa taille, celle-ci semble plus appropriée que le téléphone intelligent à une utilisation par des personnes ayant diverses limitations.

Depuis la sortie de l’iPad, de nombreuses personnes ont tenté d’utiliser des ardoises à écran tactile multipoint dans divers contextes où l’ordinateur de bureau et l’ordinateur portatif semblent difficiles d’utilisation. Dans le cas de certaines limitations cognitives (comme les TED) ou visuelles (comme la cécité), de telles expériences ont bénéficié d’une assez large couverture médiatique, souvent très enthousiaste. De façon plus intéressante, l’utilisation d’ardoises par des personnes avec TED ou cécité a donné lieu au développement d’applications spécifiques. Il s’agit donc d’un cadre considéré comme propice à l’innovation. Une phase ultérieure du projet C.A.F.É. internet de Compagnons pourrait donc pousser l’innovation vers de nouvelles limites.